
La cosmétologie de la peau noire présente certaines spécificités liées non seulement à des particularités histologiques et fonctionnelles de la peau noire, mais également à différentes habitudes cosmétiques. De plus en plus, des Africains, les femmes surtout, rejettent la couleur de leur peau pour finalement s’exposer à des risques dermatologiques, voire cancérigènes.
Des femmes de l’Afrique subsaharienne utilisent des substances éclaircissantes à visée cosmétique comme les dermocorticoïdes de forte activité et l’hydroquinone, et, depuis peu, de glutathion pour, disent-elles, se faire plus belles et plus rayonnantes. Adolescentes, mariées, personnes du troisième âge et même les enfants voire les nourrissons, personne n’est épargné dans cet élan dit de beauté corporelle.
Catherine Ahouansou, assistante de direction dans une agence de voyage à Cotonou est l’une des femmes qui utilisent des produits cosmétiques éclaircissants. A 26 ans, Catherine dit ne pas se passer de ces produits qui nourrissent et entretiennent son corps pour un teint plus éclatant. “Mon teint doit briller. Partout, j’ai des qualificatifs positifs sur ma peau et ça me donne une certaine confiance tant dans la rue que partout où je passe. Ne le constatez-vous pas vous-même ?”, se glorifie Catherine, teint clair, perruque couleur noire sur la tête et lunettes médicales aux yeux, assise dans son bureau d’assistant. Dans sa robe droite au dos nu, Catherine dit n’avoir que des habits et coutures “mettant en valeur son joli corps et son teint clair éblouissant”.
Mariam Diop, sénégalaise et vendeuse dans le marché international de Dantokpa, est aussi une cliente des vendeuses des produits éclaircissants. “Par trimestre, je dépense plus de cinquante mille francs CFA dans des produits cosmétiques afin de maintenir l’éclat de ma peau. C’est certes un lourd investissement, mais je suis toujours fière des résultats puisque je brille comme la pleine lune”, nous a confié Mariam qui a ajouté être avec un homme qui adore un teint clair. “Non seulement je lui fais plaisir, mais je le fais pour mon propre bien-être”, a précisé Mariam lors de notre entretien.
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Même si des pratiques du genre sont plus fréquentes chez les femmes, depuis quelques temps, on assiste à une demande de plus en plus importante de la part des hommes noirs. Mélange de produits cosmétiques sans aucune certification ou badge de sécurité sanitaire, tout un ensemble qui détruit plus la peau qu’il en nourrit. Pour des vendeuses rencontrées, c’est un commerce bien rentable puisque la clientèle s’accroît de jour en jour”.
Un arsenal législatif renforcé
La République du Bénin dispose d’un cadre réglementaire complet pour régir la commercialisation des produits cosmétiques et décapants. Cette réglementation est pilotée par l’Agence Béninoise de Régulation Pharmaceutique (ABREP) et vise à protéger les consommateurs contre les risques sanitaires liés à l’utilisation de produits non conformes ou dangereux.
Le texte fondamental qui régit ce secteur est l’Arrêté n°0005/MS/DC/SGM/CJ/ABRP/SA/007SGG22 du 18 janvier 2022 portant conditions d’importation, de distribution et de vente des produits cosmétiques en République du Bénin. Cette réglementation s’appuie également sur plusieurs autres textes législatifs complémentaires. Et pour le suivi et la mise en œuvre de cette réforme, le gouvernement béninois a mis en place une commission devant la conduire, d’où la prise de l’arrêté N°0010/MS/ABRP/CJC/DHE/SE/SA portant création, organisation et fonctionnement de la commission nationale d’autorisation des autres produits de santé en dehors des médicaments.
En plus de ces textes, la loi n°2021-03 du 1er février 2021 portant organisation des activités pharmaceutiques constitue le socle législatif général, tandis que la loi n°2022-36 du 10 juillet 2023 portant gestion des produits chimiques et de leurs déchets étend la protection aux substances chimiques dangereuses.
Le Code pénal béninois (Loi n°2018-16 du 28 décembre 2018) prévoit des sanctions pénales pour les infractions liées aux produits dangereux, complété par le Décret n°91-13 du 24 janvier 1991 qui réglemente l’importation des produits de nature dangereuse.
Selon l’article 5 de l’arrêté de 2022, aucun produit cosmétique ne peut être importé, distribué, ni vendu au Bénin s’il n’a reçu au préalable l’autorisation de commercialisation délivrée par l’Agence béninoise de Régulation pharmaceutique. Cette autorisation est délivrée par arrêté du Ministre de la Santé après avis d’une Commission technique spécialisée. Les différentes catégories de produits réglementés concernent les produits d’entretien, d’hygiène ou de soins, solaires, de parfumerie, de maquillage ou de démaquillage, et les produits de coiffage. Chaque catégorie fait l’objet d’une évaluation spécifique selon des critères de sécurité rigoureux.
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Mais, ces différentes dispositions législatives et réglementaires sont-elles respectées ? En l’état, il est difficile de répondre par une affirmation. Marie Madeleine, une tiktokeuse béninoise, victime des effets néfastes de l’utilisation des produits décapants ne cesse d’alerter les autorités sur l’application stricte et sans complaisance des mesures réglementaires en vigueur concernant ces produits en République du Bénin. “Quelqu’un qui n’a reçu aucune formation et n’a donc aucune notion cosmétique se permet non seulement de vendre des produits de santé, d’entretien et d’hygiène, mais également d’en être le fabricant avec des substances inconnues ou scientifiquement inappropriées”, se désole la tiktokeuse qui fait désormais du maintien de sa peau naturelle, son combat.
“L’utilisation de tout produit d’entretien et d’hygiène corporelle devrait être préalablement recommandée par un spécialiste assermenté et reconnu par l’État suivant la réglementation en vigueur en République du Bénin. A défaut de cette prescription ou cette recommandation, l’utilisateur s’expose à des risques plus élevés pour sa santé”, alerte Camille Houénouvi, cosmétologue exerçant dans un institut esthétique à Cotonou, Bénin.
La santé humaine en danger
L’utilisation des substances éclaircissantes à visée cosmétiques est associée à de très nombreuses complications, dont les troubles dyschromiques tels que l’ochronose exogène. Les recherches scientifiques récentes révèlent que les produits cosmétiques synthétiques contiennent parfois plus de 10 000 ingrédients susceptibles de provoquer des risques d’intoxication, d’allergies et de nombreux effets indésirables. Ces produits sont associés à de nombreuses maladies et troubles de santé, tels que le cancer, les malformations congénitales, les problèmes de reproduction et de développement, la dermatite de contact, la chute des cheveux, les lésions pulmonaires et bien d’autres.
Les parabènes, couramment utilisés comme conservateurs dans les cosmétiques, peuvent provoquer des irritations de la peau, des éruptions cutanées et d’autres problèmes dermatologiques, en particulier chez les personnes ayant une peau sensible. Ces produits contiennent également des métaux lourds comme le plomb, le mercure, le cadmium, l’arsenic et le nickel, tous reconnus pour leurs effets nocifs sur la santé humaine.
Les produits décapants présentent des risques particulièrement élevés. Le dichlorométhane (chlorure de méthylène) possède un puissant effet narcotique et est classé comme substance nocive. L’inhalation de vapeurs de DCM peut entraîner vertiges, céphalées et dans les cas graves, endommager le système nerveux central, les poumons et les yeux.
Depuis 2012, les décapants pour peinture contenant du dichlorométhane à une concentration supérieure ou égale à 0,1% en masse ne doivent plus être utilisés dans le secteur professionnel en raison de leur caractère cancérigène suspecté.
Malgré les nombreuses sensibilisations, les séances de conscientisation des populations par des ONGs et différents acteurs engagés pour cette cause, des populations s’y adonnent toujours, s’exposant ainsi à des risques de santé de tout genre. Abdoul, un Igbo du Sud-est du Nigeria, résidant à Akpakpa, Cotonou dit avoir été victime des effets néfastes de l’utilisation de ces produits décapants. À 37 ans aujourd’hui, Abdoul dit avoir raccroché avec tous ces produits alors qu’il avait 30 ans.
“Un jour, alors que je me suis rendu à l’hôpital pour des soins, le médecin traitant avait tout fait pour une injection intraveineuse, en vain. Toutes les veines trouvées après de longues batailles de recherche se brisent. Je pensais être au bout de mes peines, mais non. J’avais une plaie ouverte qui avait besoin de sutures. Mais là, impossible et le soignant a fini par y mettre une bande sans sutures. Ce que j’ai vécu à la suite de cette mésaventure, je ne le souhaite à personne d’ailleurs. Du retour de l’hôpital, j’ai jeté tous ces produits et m’en suis lavé les mains, complètement”, nous a raconté Abdoul.
C’est donc pour éviter ce problème de santé que le gouvernement continue sa lutte implacable contre ce fléau. En avril 2025, l’ABMed sort son rapport sur la lutte contre les produits de santé de qualité inférieure ou falsifiés (PSQIF). En associant cette lutte à la vente des médicaments, l’ABMed signale que l’année 2024 est une année de saisie record avec 12 tonnes de médicaments et de produits dangereux pour la santé humaine.
Et pourtant, des sanctions…
La législation béninoise prévoit des sanctions sévères pour les violations de la réglementation. Selon l’article 89 de la loi N°2021-03 de 2021, “est coupable d’exercice illégal de la pharmacie, quiconque se livre à des activités relevant du monopole pharmaceutique, sans être un pharmacien légalement qualifié”. Suivant le même article, le débit à titre gratuit ou onéreux, l’importation, la vente de produits de santé non autorisés est puni d’une peine d’emprisonnement ferme d’un (01) à cinq (05) ans et d’une amende de cinq cent mille (500 000) à deux millions (2 000 000) de francs CFA. Pour les infractions plus graves, la vente de tout médicament portant sur le récipient, une déclaration fausse ou trompeuse à propos de son contenu est sanctionnée d’une peine d’emprisonnement de cinq (05) à dix (10) ans et d’une amende de cinq millions (5 000 000) à cinquante millions (50 000 000) de francs CFA.
Le Code pénal de 2018 prévoit à l’article 855 qu’est punie d’une amende de un million (1 000 000) à cent millions (100 000 000) de francs CFA et d’un emprisonnement de un (01) an à trois (03) ans, toute personne ayant contrevenu à la réglementation relative à la production, au transport, à la détention ou à l’utilisation de substances chimiques, nocives ou dangereuses. En cas de récidive, la peine est portée au double.
L’article 481 du même code sanctionne ceux qui exposent, mettent en vente ou vendent des produits qu’ils savent être falsifiées, corrompues ou toxiques d’un emprisonnement ferme de trois (03) mois à cinq (05) ans et d’une amende allant de cinq cent mille (500 000) à cent millions (100 000 000) de francs CFA.
Ces dispositions réglementaires strictes s’inscrivent dans une démarche globale de protection de la santé publique et de l’environnement au Bénin, témoignant de la volonté des autorités de lutter efficacement contre la circulation de produits dangereux sur le territoire national.
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