Au cours des deux dernières décennies, l’humanité a connu une transformation rapide vers une dépendance accrue aux médias sociaux et à la communication numérique pour façonner l’opinion publique et formuler des idées.
Avec cette transformation, qui présente un aspect positif se reflétant dans l’évolution des sociétés, une tendance opposée et contraire a émergé, détournant toutes ces orientations et conférant à la vague de médiocrité une grande popularité, communément appelée « trending » numériquement. Malheureusement, ce phénomène demeure l’une des plus grandes menaces qui affectent la conscience sociale et éducative de l’homme. La médiocrité, qui signifie consommer tout ce qui est négatif et se plonger dans des contenus superficiels et rapidement diffusés, est aujourd’hui une industrie à part entière qui contribue à affaiblir les valeurs intellectuelles et éducatives, impactant directement la qualité de la vie intellectuelle et sociale.
Avant de commencer à analyser le sujet, il est essentiel de donner quelques chiffres sur l’engagement de la société marocaine dans l’espace numérique. Selon le rapport DataReportal 2024, le Maroc a enregistré des progrès significatifs dans le domaine de la transformation numérique. Le nombre d’utilisateurs d’Internet dans le royaume est d’environ 34,47 millions de personnes, ce qui représente 90,7 % de la population totale. De plus, le nombre d’utilisateurs de médias sociaux s’élève à 21,20 millions, soit 55,7 % de la population totale. Bien qu’il y ait une baisse du nombre d’utilisateurs de médias sociaux de 0,5 %, soit environ 100 000 utilisateurs par rapport à 2023, ces plateformes continuent de jouer un rôle dans la vie quotidienne des Marocains.
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En outre, le rapport indique que 61,5 % des utilisateurs d’Internet au Maroc interagissent au moins avec une plateforme de médias sociaux. Concernant la tranche d’âge adulte, le nombre d’utilisateurs âgés de plus de 18 ans atteint 20,35 millions de personnes, représentant 77,7 % de la population adulte. En termes de répartition par genre, 57,7 % des utilisateurs de médias sociaux sont des hommes, contre 42,3 % de femmes, reflétant la domination continue des hommes sur les plateformes sociales au Maroc.
La propagation de la médiocrité dans l’espace numérique
Face à cette transformation sociétale vers la numérisation, les plateformes numériques telles que Facebook, TikTok, Instagram et YouTube sont devenues des terrains d’accueil pour la médiocrité, qui se propage rapidement et largement. Ces plateformes, qui reposent sur des contenus courts et instantanés, sont devenues le principal incubateur de la production de médiocrité. Selon le rapport We Are Social 2023, le nombre d’utilisateurs d’Internet dans le monde est d’environ 4,89 milliards, dont environ 7 heures par jour sont consacrées à la consommation de contenus variés, pour la plupart de nature superficielle, qui ne font qu’occuper le temps.
Par exemple, le rapport indique que les utilisateurs de TikTok, qui se concentrent sur des vidéos courtes, passent environ 52 minutes par jour à regarder des contenus principalement divertissants et rapides. L’idée fondamentale de ces plateformes est de proposer des contenus qui suscitent curiosité et intérêt immédiat, mais qui manquent de profondeur intellectuelle ou analytique.
La médiocrité constitue un danger pour l’éveil de la conscience publique La propagation de la médiocrité ne se limite pas à produire un impact superficiel dans l’esprit des internautes, ni à divertir des vies quotidiennes devenues complexes, mais elle constitue également une menace réelle pour la formation de la conscience publique. En présentant des modèles négatifs, représentés par des influenceurs qui gagnent leur notoriété à partir de contenus superficiels, le public devient de plus en plus attiré par le trivial et moins intéressé par ce qui est sérieux et utile.
Selon une étude publiée en 2022 par le Pew Research Center, spécialisé dans le suivi des questions, des attitudes et des tendances qui façonnent l’opinion publique, 63 % des jeunes âgés de 18 à 29 ans dépendent des médias sociaux comme principale source d’information. Cette grande dépendance vis-à-vis de sources superficielles renforce la médiocrité et affaiblit la capacité des jeunes à distinguer entre le contenu sérieux et le contenu trivial.
Cela amène certains influenceurs à confondre le travail journalistique et médiatique avec leur apparence superficielle, ce qui, malheureusement, a même conduit certains responsables à collaborer avec eux pour diffuser et généraliser leurs nouvelles.
Une médiocrité qui fragilise le système éducatif et social
L’un des aspects les plus préoccupants de la médiocrité qui nécessite une grande vigilance est son impact direct sur les systèmes éducatifs et sociaux. En fournissant des contenus rapides et superficiels aux enfants et au public émergent, les médias sociaux contribuent à saper les efforts éducatifs visant à promouvoir la pensée critique et rationnelle, les transformant en spectateurs et consommateurs inconscients. Dans une étude menée par la British Educational Research Association en 2021, il a été constaté que l’utilisation excessive des plateformes de médias sociaux, notamment celles reposant sur des vidéos courtes, avait entraîné une diminution de 15 % de la capacité de concentration chez les étudiants, ce qui est très préoccupant pour le domaine éducatif et intellectuel, qui devrait être préservé de la médiocrité et protégé de toutes les tentatives visant à « le trivialiser ».
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Ce phénomène représente une partie d’un plan non déclaré visant à affaiblir le système éducatif et social, où l’immersion dans la médiocrité détourne l’attention des véritables enjeux auxquels la société est confrontée vers des questions superficielles et secondaires.
Face à cette large diffusion de la médiocrité, beaucoup se demandent : où sont les savants et les penseurs ? Pourquoi n’ont-ils pas pu s’opposer à cette marée virale de médiocrité ? La réponse réside dans la nature du système numérique actuel, qui récompense la célébrité rapide et le contenu superficiel plutôt que la valeur scientifique et intellectuelle.
Certes, l’économie contrôle largement ce processus, mais il est essentiel que les investisseurs du domaine numérique comprennent que le profit rapide peut conduire à de grandes catastrophes humaines, pouvant se refléter négativement sur le monde en faisant émerger de nouvelles valeurs anormales et malsaines, capables d’influencer brutalement les sociétés vers un horizon inconnu, ou du moins, cela pourrait nous amener à réaliser des mondes de science-fiction tels que présentés dans les films hollywoodiens.
Selon un rapport publié en 2022 par l’institut allemand Statista, qui est l’une des plus grandes plateformes mondiales de données et d’intelligence économique, plus de 57 % des vues sur YouTube vont à des contenus de divertissement, tandis que la part des vues sur les vidéos éducatives ne dépasse pas 16 %. Cette grande disparité dans les taux de visionnage reflète l’impact de la médiocrité sur le système numérique, rendant difficile l’émergence des savants face à la masse des médiocrités.
Attention, on s’enlise!
Il est intéressant de noter que la médiocrité ne se propage pas seulement en raison de ses amateurs, mais également à cause de ses critiques. Chaque fois que nous interagissons avec ces contenus, que ce soit par un « like » ou par une critique, nous contribuons à leur propagation. Cette dynamique rend la médiocrité difficile à éradiquer, car elle repose sur une interaction et une participation continues, qu’elles soient positives ou négatives.
Même en écrivant cet article, on a eu l’impression d’être entraîné vers la médiocrité, mais nous avons essayé de nous protéger grâce à la théorie critique qui me permet d’analyser et de comprendre ce phénomène sous un angle plus profond. Ainsi, nos sociétés contiennent encore beaucoup de conscience profonde, bien qu’elle soit encore peu répandue, mais elle est capable de faire face à ce courant déferlant de médiocrité et de proclamer un boycott clair des contenus médiocres, en plaidant pour la régulation de la superficialité sur les réseaux sociaux.
Quid de l’économie numérique?
L’économie numérique n’a pas non plus échappé à l’impact de la médiocrité, mais l’a exploitée à son avantage. La production de médiocrité génère d’énormes profits, avec des dépenses liées à la publicité numérique pour des contenus de divertissement superficiel atteignant environ 455 milliards de dollars en 2022, selon les estimations de l’institut eMarketer, leader dans les prévisions liées à la transformation numérique.
Ce chiffre énorme reflète comment la médiocrité est devenue une partie intégrante d’une stratégie économique reposant sur l’exploitation de sa popularité pour réaliser de grands gains financiers. Ces profits, bien qu’importants et à estimations élevées, n’achèteront jamais la conscience si celle-ci est détruite par la médiocrité ; il lui faudra du temps pour retrouver ses valeurs humaines après avoir été brisée. L’évolution économique ne devrait pas être à l’écart de l’évolution sociale et intellectuelle, et les entreprises doivent prendre en compte les conséquences néfastes de cette médiocrité qui ne produira que de grandes déceptions.
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Il devient donc impératif de repenser notre rapport à l’économie numérique, d’encourager un investissement plus significatif dans les contenus de valeur et d’exiger la réglementation des contenus diffusés sur les réseaux sociaux. Cela nécessitera la collaboration entre les gouvernements, les entreprises numériques et la société civile pour contrer la propagation de la médiocrité et promouvoir une culture de profondeur intellectuelle et de qualité.
En conclusion, la médiocrité, bien qu’invisible, représente une menace réelle pour notre conscience sociale. Pour éviter cette menace, nous devons être vigilants, critiques et prêts à défendre nos valeurs face à la superficialité, car la vie est bien trop précieuse pour se limiter à une existence médiocre.
Ismail El Hamraoui, chercheur en questions de jeunesse et politiques publiques
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