Tribune : Pourquoi les artistes Béninois peinent-ils à vivre de leur art ?

L’art est l’âme d’une nation. Il est temps que le Bénin offre à ses artistes les moyens de faire rayonner leur talent, non seulement pour la fierté du pays, mais aussi pour leur propre survie et le développement durable de notre culture.

Le Bénin regorge de talents artistiques. Musiciens, plasticiens, comédiens, danseurs, écrivains. La passion et la créativité ne manquent pas. Pourtant, derrière la scène et les projecteurs, une réalité demeure souvent sombre : la précarité est le quotidien d’une grande majorité d’artistes béninois. 

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On estime qu’au moins 75% des artistes, malgré leur génie, peinent à vivre décemment de leur art. Pourquoi un tel paradoxe ? Les raisons sont multiples et profondément ancrées dans la structuration de notre écosystème culturel.

Le premier défi majeur est la non formalisation persistante du secteur. Loin d’être une industrie robuste avec des chaînes de valeur claires, l’art au Bénin fonctionne trop souvent sur des bases précaires. Il y a un manque criard de maisons de production, de labels, de galeries professionnelles, de distributeurs efficaces et de structures de diffusion indépendantes capables de transformer le talent en revenus stables. 

Ici, les contrats sont rares ou flous. Les partenariats sont souvent occasionnels, et la professionnalisation des acteurs (des managers, artistes, éditeurs, metteurs en scène, techniciens etc.) reste un enjeu. Sans cette armature économique solide, même les œuvres artistiques les plus brillantes ont du mal à trouver un chemin vers un marché rémunérateur.

Le défi de la monétisation et des droits d’auteur

Nous savons déjà que le talent seul ne suffit pas pour un artiste. Le talent ne nourrit pas non plus convenablement son homme sans un système de rémunération juste et appliqué. La monétisation de l’art béninois est minée par plusieurs facteurs. La culture du « gratuit », où le public est peu habitué à payer pour le contenu culturel, limite considérablement les recettes directes. Mais le coup de grâce vient souvent de la piraterie massive et de la faible application des droits d’auteur. 

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Ils sont des centaines dans les feux tricolores et dans les espaces publics ou des bars et restaurants de Cotonou, Porto-Novo, Parakou et dans d’autres villes du Bénin à vendre des œuvres piratées de nos artistes. Écrivains, musiciens et cinéastes voient leurs œuvres copiées et distribuées illégalement, les privant d’une grande partie de leurs revenus légitimes. Malgré les efforts du Bureau béninois du droit d’auteur (BUBEDRA), le recouvrement et la redistribution des redevances restent insuffisants, laissant les créateurs démunis face à l’exploitation de leur propre travail.

Financements et investissements, le bâton dans les roues

Créer et promouvoir son art demande des moyens. Or, l’accès aux financements est un véritable parcours du combattant pour les artistes béninois. Avant d’être dissous, le Fonds d’Aide à la Culture devenu Fonds des Arts et de la Culture était un dispositif de financement de la culture. Malheureusement, malgré des ressources faramineuses mises à la disposition de la direction générale du fonds, force est de constater une flagrante mauvaise gestion des ressources par la direction du FAC en complicité avec une minorité d’acteurs culturels véreux et assoiffés du gain facile. 

Si des initiatives comme le Fonds de Développement des Arts et de la Culture (FDAC) existent désormais, les procédures peuvent être complexes et les montants souvent insuffisants pour couvrir des productions ambitieuses ou des tournées significatives. Le secteur privé est encore frileux à investir dans la culture, la percevant comme un domaine peu rentable ou trop risqué. Le mécénat et le sponsoring sont incertains et fragiles, et les banques traditionnelles n’ont pas encore développé d’offres adaptées aux réalités des projets artistiques. Sans capital, la qualité des productions ne progresse pas et la visibilité reste limitée.

Toutes ces difficultés se cristallisent dans les conditions de vie précaires de nombreux artistes. Vivant souvent au jour le jour, ils sont contraints de cumuler les petits boulots, sacrifiant temps et énergie qui devraient être dédiés à leur création et au renforcement de leurs capacités. Plus grave encore, l’absence d’un statut juridique clair de l’artiste les prive de toute protection sociale. Pas d’assurance maladie, pas de retraite, pas d’accès aux droits sociaux de base. 

Pour la plupart du temps, ils font recours aux réseaux sociaux pour solliciter des aides. C’est devenu la norme pour se sauver dans un pays comme le nôtre. Cette précarité est une véritable tragédie humaine, qui mine la dignité des créateurs et décourage la relève, alors même que l’art est un pilier essentiel du développement humain et social.

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Pour que les artistes béninois puissent enfin vivre de leur passion et de leur profession, une transformation profonde est nécessaire. Il est impératif que les artistes eux-mêmes s’engagent dans l’amélioration de la qualité de leurs productions, en s’ouvrant à de nouvelles formations et en s’organisant davantage. Quant aux médias, ils doivent prendre pleinement conscience de leur rôle crucial dans la promotion et la valorisation des talents locaux. Quant à l’État central, son rôle est capital : il doit mettre en place des dispositifs d’accompagnement plus robustes et plus accessibles; améliorer drastiquement les mécanismes de perception et de redistribution des droits d’auteur, et soutenir activement l’émergence d’une véritable économie du spectacle, notamment en accompagnant et en professionnalisant les festivals qui sont des vitrines essentielles.

L’art est l’âme d’une nation. Il est temps que le Bénin offre à ses artistes les moyens de faire rayonner leur talent, non seulement pour la fierté du pays, mais aussi pour leur propre survie et le développement durable de notre culture.

Par Ériyòmi ADÉOSSI, AzCool, Promoteur culturel et Directeur du Festival International Couleurs d’Afrique.

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