Technologie: Attention, la sociabilité se meurt!

Des sorties entre amis, il y en a toujours. Une fois à table avec ceux-ci, la conversation bat souvent son plein et l’ambiance est conviviale, mais on ne peut malheureusement pas s’empêcher de jeter, de temps en temps, des coups d’œil sur son téléphone placé juste devant soi. Les relations se vivent de plus en plus virtuellement que dans le réel.

Il a pour non « phubbing ». Le phubbing, mot-valise anglais formé à partir de phone (« téléphone ») et de snubbing (« snober, repousser ») et qui peut se traduire littéralement par « télésnober ». En définition plus digeste, c’est l’acte d’ignorer des personnes physiquement présentes en consultant son téléphone plutôt que de communiquer avec elles. Le phubbing est de s’emparer de son téléphone lorsque le son d’une notification retentit au détriment des personnes que l’on a en face de soi.

Surveiller nos réseaux sociaux ou envoyer des SMS alors que des personnes présentes en chair et en os comptent sur notre attention, n’est pas l’attitude la plus respectueuse qui soit. Il suffit juste d’être de l’autre côté de la barrière ou de l’autre table pour mieux le remarquer. Le fait, loin d’arranger les relations amicales, est une dépendance inédite de son appareil téléphonique. Certains, se désolant de ce phénomène, estiment qu’il est préférable de se regarder en face et de profiter du moment présent à deux ou entre amis physiquement, au lieu de toujours le faire virtuellement avec des gens vivant  parfois à des kilomètres de soi.

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Je suis peut-être un peu susceptible, mais moi j’ai besoin qu’on me regarde quand je parle. Alors qu’on regarde longuement une fille en mini-jupe passer, un bébé qui pleure, le bruit de klaxon d’un zémidjan (conducteur de taxi moto) cherchant des clients ou que l’on soit concentré sur son téléphone pendant que je parle, c’est pareil finalement. Je veux juste qu’on m’accorde l’attention que je mérite. Je me suis déplacée, je suis présente physiquement, donc je devrais être prioritaire. Natalie Assogba, étudiante en année de licence en communication d’entreprise à Cotonou. 

Si la jeune refuse de tenir le téléphone pour unique responsable, force est de reconnaître l’énorme potentiel de ce dernier pour perturber un moment de sociabilité entre amis et même frère. Pour le sociologue Albert Hounton, “le responsables de ce phénomène reste et demeure la réception de notifications qui créée la folle envie de toucher son téléphone”.

« On choisit de les installer, mais elles nous rappellent sans cesse à l’ordre. Surtout celles en lien avec l’actu et nos discussions de groupes et autres, qui font qu’on est au courant de choses parfois trop rapidement et à des moments que l’on n’a pas choisis », explique Michael, jeune start-up béninoise.

La sociabilité en « danger »

Des années en arrière, la consultation du téléphone en plein échange physique était surtout l’apanage des jeunes. Aujourd’hui, de plus en plus d’utilisateurs de toute catégorie et de différentes couches socioprofessionnelles s’y adonnent. Le simple geste, que d’aucuns pourraient qualifier d’anodin, est de consulter son téléphone sans y avoir été incité. Un simple réflexe ? Plutôt une pulsion pour Roland qui explique que les accros au téléphone intelligent « ont besoin de le consulter fréquemment pour se rassurer ». « Ils ont peur de passer à côté d’une information, d’un message ou d’un like. On appelle ça le “FOMO” : Fear Of Missing Out, littéralement la peur de manquer quelque chose », explique Mikael.

Pourtant, en restant connectées virtuellement, ce sont les moments de la vie réelle que les personnes adeptes du phubbing manquent. Selon une étude de Deloitte datant de 2017, 65 % des jeunes, en moyenne, déclarent se servir de leur smartphone pendant les repas en famille ou avec des amis. Parmi ces jeunes, les femmes représentent 75%. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les jeunes ne sont pas forcément les premiers. « Les études prouvent que toutes les tranches d’âges et tous les types de personnes sont concernées, car cela révèle souvent une addiction aux écrans, ou au smartphone. Même les personnes âgées en font désormais les frais ».

Dans une autre étude publiée dans la Science Direct Journal a montré que les smartphones modifient le tissu social. Cette découverte est le fruit d’une expérience lors de laquelle des inconnus ont été rassemblés dans une salle d’attente, avec ou sans téléphone. Des assistants spécialement formés pour l’occasion avaient pour objectif de répertorier leurs sourires. En comparaison aux sujets privés de téléphone, ceux qui en avaient un entre les mains ont beaucoup moins souri de quelque nature que ce soit, et ont encore moins fait de sourires sincères.

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« C’est ahurissant de constater qu’un couple, décidant de passer un moment ensemble dans un restaurant, passe son temps à rester coller à son téléphone au cours du repas sans profiter pleinement et physiquement de ce moment hors de leur foyer », se désole Sylvie, psychologue clinicienne

Paradoxalement, les personnes qui adoptent ce comportement ne semblent pas le trouver véritablement épanouissant. « Il est d’une évidence notoire que je m’intéresse moins au moment présent et aux gens qui m’entourent. Par exemple, lorsque je mange avec ma famille ou surtout avec mes amis avec le téléphone portable dans ma main, je reconnais avoir moins profité du repas et , de plus souvent, je passe à côté de quelque chose, un sujet plus intéressant ou capital », explique Roland, jeune accro au téléphone portable.

La présence absente

Quatre facteurs majeurs nourrissent le phubbing et constituent un handicap aux relations humaines dans un monde de plus en plus digitalisé. Il y a au premier plan l’ennuie. Cette dernière peut survenir même en présence d’un autre interlocuteur physique. Quand on s’ennuie, on a tendance à faire le tour de toutes les applications sur son téléphone sans rien vraiment chercher de particulier. D’une plateforme sociale à une autre, ce tour sans but précis permet juste de “tuer le temps et d’envisager un improbable échange avec un autre interlocuteur virtuel alors qu’un autre se trouve en face de soi”.

L’autre facteur est, comme signifié supra, la FOMO (Fear of missing out), la peur de rater une information ou un événement. A ce niveau, il s’agit d’une sorte d’anxiété sociale qui donne constamment la peur de louper une occasion d’interagir socialement. On semble se plaire dans le monde virtuel, irréel que celui réel. Le plaisir de la sociabilité et les retombées sentimentales d’une vie réelle sont donc rangées au profit de l’irréel simplement à cause de l’addiction de la personne à son portable.

D’autres personnes sont tellement addictes qu’elles n’arrivent plus à se contrôler, d’où le troisième facteur qui est le manque de maîtrise de soi. Il suffit juste d’un peu de contrôle pour ne pas regarder son téléphone pendant que quelqu’un nous parle et pourtant certain d’entre nous n’en sont pas capables. Le phénomène est donc à la fois si comique et préoccupant. Le dernier facteur est une addiction à internet. Il est évident qu’un grand nombre de personnes sont addicts à internet et particulièrement aux réseaux sociaux. Elles ont constamment besoin de prendre leur temps et d’exposer leurs vies publiques sur les réseaux sociaux. 

Face à tous ces facteurs pourtant connus et surtout leurs effets dans les relations humaines, on se demande pourquoi continuer le phubbing ? Peut-être parce qu’à défaut d’y trouver un réel plaisir, certains y trouvent une vraie utilité. Comme celle de reprendre le contrôle sur une situation.

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« Ouvrir son téléphone, c’est une façon d’éteindre ce qui se passe en soi, de fermer la page, d’éviter les affects négatifs et autres », décrypte pour nous Sylvie, la psychologue clinicienne. Une porte de sortie bien pratique lorsque l’on fait par exemple face à « quelque chose que l’on ne veut pas entendre » lors d’une conversation. Et la stratégie d’évitement peut être contagieuse, comme l’explique George, 24 ans. L’étudiant en médecine s’est rendu compte que « lorsque quelqu’un se met à regarder son smartphone, il a tendance à en faire de même ». « Comme s’il lui était difficilement supportable de rester à attendre que la personne lui accorde de nouveau son attention. Comme une petite sensation de vide ». C’est dire les sentiments désagréables qui peuvent s’éveiller chez les personnes qui sont mises sur « pause » malgré elles.

Dans des situations pareilles où la tendance semble être une contagion, il est fortement souhaité que « la victime » entame ou ouvre un sujet de discussion afin de créer l’effet contraire. A force de subir, c’est la relation qui est mise à l’épreuve et c’est la manière la plus simple de perdre cette sociabilité légendaire qui caractérise les relations humaines.

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