[Témoignage] Autisme : Mon combat contre le rejet

L’autisme est un trouble du neurodéveloppement caractérisé par une altération des interactions sociales, de la communication et du comportement. Touchant un enfant  sur 150 selon l’OMS, ce handicap reste encore mal connu de la population béninoise.

Souvent marginalisés, sujets à pitié ou de honte, parents d’autistes et enfants autistes ont des difficultés à s’intégrer dans leur environnement. L’autisme est associé à une malédiction divine, des enfants sorciers ou même la réincarnation du diable dans certaines zones rurales. Ces fausses croyances, courantes au Bénin sont aussi un obstacle au diagnostic, à la prise en charge malgré le manque de structures adaptées. Dans ce dossier, nous vous présentons l’univers de l’autisme.

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Il est 17h chez dame Laurence à Mènontin, un quartier de Cotonou. Le portail s’ouvre, elle sait déjà qui arrive puisqu’elle attendait son retour. Mon chéri est là dit-elle, se précipitant pour l’accueillir avec plein de bisous et de câlins. C’est le rituel d’accueil pour Chris son fils de 23 ans. Il venait de rentrer de la Chrysalide, un centre de prise en charge des personnes handicapées intellectuelles. Chris est autiste depuis tout petit mais c’est à 9 ans que Laurence a, pour la première fois, entendu ce nom. 14 ans maintenant que leur quotidien n’a pas changé même s’il a de grandes avancées. Chris ne supporte pas les changements, ni le bruit. Tout doit se faire de la même façon au risque qu’il ne s’énerve et ne commence à crier. 

Quand il est énervé il peut être violent, se mordre, se griffer, laisser une plaie ou des cicatrices sur son corps.  Du mardi au vendredi, il passe ses journées à la chrysalide où il rencontre d’autres enfants avec parfois des handicaps divers et se fait suivre par le personnel du centre.  A son réveil, il doit voir un visage, le mien. C’est pourquoi il m’est difficile de dormir en dehors de la maison. Il doit me câliner, m’embrasser. Il a sa place où il s’assoit et ne supporte pas de voir un autre assis à cette place. Il sait l’heure à laquelle il doit manger et quand le repas n’est pas prêt, il est troublé, il est énervé, il se met en crise. Laurence, mère de Chris, autiste à Cotonou

Chris vient de nous rejoindre après s’être changé. Assis à côté de moi sur le canapé, faisant face à sa mère ; il écoute cette dernière dérouler le récit de sa vie. Il est attentif. De temps à autre, il tourne le regard vers moi. Peut-être pour mieux connaître ce nouveau visage dans son environnement ou comprendre l’expression de mon visage. Pendant ce temps, Laurence poursuit. Il faut garder les domestiques même quand ils sont capricieux parce qu’il n’apprécierait pas de ne pas voir celle à qui il est habitué. Et quand il faut la changer, il faut faire venir la nouvelle pour qu’il prenne le temps de la connaître. Même quand cette dernière est capricieuse, je dois être patiente et supporter pour le bien de mon fils.   Même pour le rangement dans la maison, cela ne change pas l’ordre des choses. Chaque personne autiste est différente. Nous parents devons tout essayer pour trouver ce qu’il y a de mieux pour les enfants. Ils ont du potentiel qu’il faut apprendre à détecter. Quand il rentre du centre, je suis là, je l’accueille avec beaucoup d’amour. « Qu’il soit en joie d’être rentré chez lui ». On se fait beaucoup de câlins et s’assoit devant la télé qu’on regarde ensemble. Quand j’ai des occupations dans la maison, je le laisse devant la télévision et quand il a envie d’être avec moi, il s’approche de moi et on se fait des câlins. 

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Laurence parle de son fils avec fierté, elle se réjouit du chemin parcouru ensemble et des avancées auxquelles ils sont arrivés. Elle se plonge dans ses souvenirs, pour mettre des mots sur ses maux. Son combat pour la connaissance de ce trouble, mais surtout contre l’isolement social et la mystification de l’autisme 

Rejet, jugement, souffrance, culpabilité, résignation, dépression, etc. Voilà quelques mots utilisés par Laurence pour peindre le vécu des parents d’enfants autistes, notamment les mères dans ce contexte sociologique béninois. C’est dur de vous plonger dans le regard des autres. Un regard qui accuse la mère, dit-elle, pour introduire son récit. Depuis 23 ans, j’ai été condamnée à un combat que je n’ai pas choisi, celui contre la stigmatisation. Aujourd’hui, je connais mieux l’autisme, j’informe sur ce trouble de développement pour que cessent toutes ces discriminations et tout ce dont on nous accuse par ignorance, la pitié envers les autistes et leur famille. Mon combat contre le rejet est celui de toutes les mères d’enfant autiste. Celles qui ont l’information mais qui n’ont pas la force de protéger leur enfant, celles qui continuent dans l’errance médicale. J’ai triomphé grâce à l’amour. L’un des secrets de l’épanouissement de nos enfants, c’est le bon accompagnement.  

Le parcours des parents d’enfants autistes est jalonné de difficultés. La première est celle du diagnostic : sortir de l’errance médicale, confie Laurence. Quelques semaines après la naissance de Chris, j’ai constaté qu’il avait perdu du poids. Il n’évoluait plus normalement. Toutes les femmes qui ont accouché au même moment que moi, leurs enfants commençaient par s’asseoir et tout mais le mien rien. J’ai rencontré le pédiatre qui m’a dit de ne pas m’inquiéter que tous les enfants n’évoluent pas au même rythme. Je me suis dit qu’il doit avoir raison. 

C’était notre premier enfant donc je me suis calmé un peu. Mon enfant ne pleure jamais même quand il a faim. Quand on l’appelle, il ne réagit pas. Il ne marchait pas, ne tenait pas debout. Je repars voir un autre médecin qui me dit la même chose. Mon mari lui-même ne comprenait plus rien. Nous avons fait le tour des médecins. Il y a même un grand neurologue qui m’a traumatisé. Il a dit que mon enfant à une maladie dont je ne me souviens plus du nom. Que sa tête allait commencer par grossir et qu’il ne va pas vivre longtemps. 

J’ai commencé par me demander si les gens n’ont peut-être pas raison. A des moments donnés, vous finissez par croire que vous êtes mauvaise à force d’entendre la société vous condamner.  On s’est dit c’est peut-être spirituel comme les gens pensaient et on s’est rapproché d’un prêtre exorciste. Parce que l’hôpital n’a pas vraiment su nous donner satisfaction.  Je me disais qu’il fallait peut-être faire des rituels. Mais comme je ne m’y connais pas en pratiques endogènes, je me suis retenue. 

De fausses croyances qui anéantissent

La famille, les parents, l’environnement, tout le monde s’y met au Bénin. J’étais objet de rejet pour certains, de dégoût pour d’autres. La famille, même si elle ne pose pas de mots sur ses pensées, porte un regard différent sur vous. C’est parfois aussi difficile pour les cousins, ils ont peur de s’asseoir à côté de lui et se demandent s’il ne sera pas violent avec eux. Les voisins, les personnes extérieures vous étiquettent. C’est à croire que vous avez la peste. Même dans les lieux de culte, nous parents sommes mal vus. 

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Je suis chrétienne catholique et j’aime aller partout avec mon enfant même à l’église. Et un dimanche, on y était. Il y avait des chants et des louanges. Chris était très content et a commencé par crier de joie. 

Une dame s’est approchée de moi pour me demander de quitter la salle parce que mon fils dérangeait la messe. J’étais révoltée et je lui ai dit être venue pour Jésus. J’ai refusé de sortir lui demandant d’appeler Jesus pour me faire sortir. Elle est partie pour ne plus revenir. 

Une autre fois toujours à la messe, dès que ceux qui étaient sur le même banc que moi ont constaté le handicap de mon fils, ils se sont tous levés pour nous laisser seuls, mon fils et moi. Et pourtant on nous enseigne l’amour et la tolérance en tant qu’enfant de Dieu. La stigmatisation sociale laisse place à des sentiments d’inefficacité, de culpabilité, de mésestime de soi ou d’impuissance.  Je n’en veux pas à ceux qui me pointent du doigt. Je les comprenais parfois. Nous-même, ça nous a pris du temps pour savoir. On avait tous peur. Est-ce que tous nos autres enfants seront comme ça et comment s’y prendre. Ça n’a pas été facile.  Petit à petit, il a appris à tourner la tête, à s’asseoir, à faire d’autres gestes. Avec la prière mon fils a pu marcher. J’étais la femme la plus heureuse du monde. Nous n’avions toujours pas de diagnostic mais je n’étais pas découragée. 

Il fallait lui donner à manger, mettre tout le temps des couches, son bain etc. Cela n’a pas été facile. J’ai passé 10 ans sans travailler parce que je ne pouvais le laisser à personne. Il fallait que je m’en occupe. Mais là encore je remercie mon mari qui ne nous a pas abandonné. Des mères d’autistes sont rejetées par leur famille, le mari les abandonne. Certaines se sont vues retirer leurs enfants pour des destinations inconnues. A 9 ans, quelqu’un m’a parlé de la Chrysalide. C’est là-bas que j’ai su pour la première fois que mon fils était autiste. Et pourtant, je suis intellectuelle, les médecins que j’ai consultés sont pourtant des spécialistes. 

La responsable de la Chrysalide, Claudine Daïzo, m’a aidé à comprendre que ce que manifeste mon fils s’appelle ‘’autisme’’. Moi-même, j’ai fait mes recherches. Elle m’a dit ce qu’il faut faire et ne faut pas faire. Ajouté aux recherches sur Internet, je suis arrivée à maîtriser le trouble et savoir comment apporter du soutien, de l’amour à mon fils.  J’avais pour habitude d’opérer des changements qu’il n’appréciait pas et qui déclenchaient ses crises. La directrice du centre m’a dit que c’est un handicap dont on ne guérit pas mais qu’il va s’améliorer. Aujourd’hui, mon fils mange seul, peut boire de l’eau par lui-même. Il peut s’asseoir à vos côtés. Il y a beaucoup de personnes qui le vivent difficilement. Mais quand tu aimes ton enfant, ça te donne de la force de vouloir le protéger ; lui assurer un bien-être. Je n’ai jamais caché mon enfant, j’estime qu’il a les mêmes droits que sa sœur. Nous parents ne sommes pas responsables de ce qui arrive. Ce ne sont pas des enfants sorciers et les mamans aussi ne sont pas des sorcières. 

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Ça a été très difficile pour moi de  tomber à nouveau enceinte parce que mon mari ne voulait plus vraiment. Je le comprends parce qu’il ne savait pas si c’était de ma faute. Est-ce la sienne ? Est-ce qu’on ne va pas encore donner naissance à un enfant comme Chris ? Moi non plus je ne le savais mais je désirais un autre enfant. J’ai eu sa sœur quatre ans après et elle va bien. Et j’y suis arrivée grâce à l’amour. Les enfants autistes nous apprennent également beaucoup sur la vie.  J’ai souffert. Franchement, j’ai souffert de beaucoup de choses. A quel point ? Vous ne pouvez l’imaginer. Aujourd’hui, je suis une maman heureuse. J’aime mon enfant. Je suis fier de mon enfant. C’ est ma joie. Il m’a appris à m’ouvrir aux autres. Il m’a appris comment donner l’amour qu’on ressent.  Moi, j’étais une rebelle.  J’étais un peu bagarreuse. Il m’a appris à aller vers les autres, donner beaucoup d’amour à sourire aux autres. « Je suis une maman épanouie et je voudrais que les autres aussi le soient » renchérit Laurence.  Que les mamans qui ont un enfant qui souffre de l’autisme puissent retrouver cette joie et ce bonheur de vivre avec leurs enfants. Ma peur aujourd’hui, je ne suis pas éternelle. Je me bats pour qu’un jour même quand je ne serai pas là, mon fils puisse être heureux et vivre en sécurité. 

Aujourd’hui, j’ai décidé de sensibiliser sur l’autisme afin de briser les stéréotypes et permettre aux parents d’élever leurs enfants autistes loin des regards stigmatisants.  Il faut que les gens comprennent que ce n’est pas la peste, que ce n’est pas un enfant maudit. Qu’il n’est pas fou. Ces mères au lieu de les rejeter, on devait les aider à avoir un revenu. Ce sont des femmes qui ne peuvent pas laisser leurs enfants et il faut les soutenir. Des formations qui puissent permettre  d’être à la maison et en même temps de pouvoir générer des revenus. Avec mon ONG “This is me’’, je partage mon expérience avec d’autres parents.  J’encourage beaucoup de femmes à sortir avec leurs enfants. 

Je connais des couples de personnes intellectuelles qui enferment leurs enfants et ne veulent pas qu’on sache. C’est regrettable, c’est bien dommage. Et tout ça à cause de vous. Vous qui au lieu d’essayer de connaître, jugez. L’enfant ressent tout lorsque vous le rejetez. Lorsque c’est de l’amour également.

J’appelle également les autorités de ce pays à se pencher sur la cause des enfants autistes. Aucune école à ce jour au Bénin n’accepte de recevoir nos enfants. Des écoles ont refusé de prendre Chris. Sans la Chrysalide, on n’en serait pas à cette évolution avec mon fils. Il faut qu’on accompagne le centre. Mon enfant va en colonie de vacances aussi (sourire). S’il le faut, avec des partenaires, créer un internat avec des professionnels pour prendre en charge ces enfants qui pourront entrer en famille le weekend. Aller à la Chrysalide ! On va pouvoir vous aider à comprendre votre enfant. L’ignorance de la mère peut être aussi un gros handicap pour l’enfant. A tous les parents restons forts et déterminés. 

Qu’est-ce que l’Autisme ?

L’autisme est un trouble envahissant du développement. Cependant, il n’y a pas un, mais de nombreux troubles du spectre autistique (TSA) qui regroupent un ensemble d’affections caractérisées par une altération du comportement social, de la communication, du langage, mais aussi par des centres d’intérêts et des activités restreintes et répétitives, explique Gilles Arsène Aïzan, psychologue clinicien et Président de Autisme Bénin.

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Ce n’est pas une maladie mentale et est reconnu officiellement comme un handicap. Selon le psychologue clinicien, on ne connaît pas encore la cause exacte de l’autisme. Certaines études ont montré un lien entre autisme et génétique. Mais ce n’est pas la seule explication. Le développement neurologique ainsi que les facteurs environnementaux pourraient également avoir une incidence. Le champ des recherches est encore très vaste sur ce point. Une chose est sûre cependant : l’autisme n’est pas lié à la relation parent-enfant, ni au mode d’éducation. 

Les signes évocateurs

Le trouble se déclare en général avant l’âge de 2 ans, mais les TSA sont nombreux et divers, ce qui les rend difficiles à diagnostiquer. Cependant, certains signes doivent alerter les parents. Un comportement particulièrement calme (l’enfant ne joue pas, ne rit pas, ne babille pas.), des regards fuyants, des intérêts très réduits mais obsessionnels (un seul jouet devient une véritable fixation, certains rituels doivent être répétés encore et encore) sont des signes qui peuvent indiquer un TSA. 

La cause de l’autisme n’étant pas connue, aucun traitement médical n’existe pour le moment. Néanmoins, grâce à une prise en charge pluridisciplinaire et adaptée aux besoins de chacun, il est possible d’améliorer la qualité de vie des personnes autistes tout au long de leur vie.

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