Tribune : La gratitude de la prise en charge de l’insuffisance rénale au Bénin et dans la sous-région

L’insuffisance rénale chronique désigne la diminution plus ou moins importante des fonctions des reins, quelle qu’en soit la cause. Les reins perdent, de façon durable et irréversible, leur capacité à filtrer correctement le sang de l’organisme.

La maladie rénale chronique est une maladie longtemps silencieuse, d’évolution progressive et sans possibilité de guérison. En dessous d’un certain seuil de capacité des reins à filtrer le sang, on parle d’insuffisance rénale chronique dont l’évolution naturelle est plus ou moins lente mais peut aller jusqu’à la perte totale de la fonction rénale. 

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C’est l’insuffisance rénale terminale, nécessitant un traitement de suppléance par dialyse et/ou greffe de rein. Il est possible de ralentir l’évolution de la maladie rénale chronique en évitant ou en traitant tous les facteurs qui peuvent l’aggraver. Où en est-on dans la gratuité de la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique dans la sous-région ouest africaine en général, et au Bénin en particulier ?

Contexte général de la maladie.

L’insuffisance rénale est devenue une sérieuse menace de santé publique en Afrique de l’Ouest. L’insuffisance rénale, aiguë ou chronique, est en progression constante, en lien avec l’augmentation des maladies chroniques (hypertension artérielle, diabète) ; la consommation incontrôlée de médicaments et de plantes médicinales ; le manque d’eau potable et d’hygiène; le manque de prévention et de diagnostic précoce; la pauvreté et l’accès limité à la néphrologie.

Selon les estimations de la Société africaine de néphrologie, jusqu’à 10% de la population adulte pourrait souffrir d’un début d’atteinte rénale sans le savoir. Au Bénin, l’insuffisance rénale vient en troisième position après les maladies infectieuses et la malnutrition.

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Accès à la dialyse, niveau de la prise en charge et de la gratuité.

La couverture nationale en centres de dialyse, le niveau de la prise en charge et de la gratuité des soins aux dialysés varie suivant les pays de la sous-région. La prise en charge comprend généralement la consultation en néphrologie, les séances de dialyse (hémodialyse, parfois dialyse péritonéale), les médicaments, les examens complémentaires (bilan biologique, imagerie) et la greffe rénale.

Pendant longtemps, seuls quelques patients privilégiés étaient pris en charge par l’Etat béninois et évacués dans les hôpitaux étrangers, notamment en France pour le traitement très onéreux et lourdement pesant sur le budget national. Pour donner plus de chance de survie aux patients souffrant d’affection rénale, l’unité de dialyse du CNHU a été créée. Au début, seuls les fonctionnaires (APE) sont pris en charge avec leurs bulletins. Les patients non-APE y mettaient toutes leurs fortunes, malgré l’assistance de leurs parents et amis avant d’être finalement emportés par la maladie, faute de moyens pour continuer le traitement.

Pour mettre fin à la détresse et limiter les dégâts humains causés par le coût très élevé du traitement de cette maladie, Feu Général Mathieu KEREKOU, Chef d’Etat d’alors, a donné l’ordre à partir de 1999 de prendre en charge à 100% tous les citoyens atteints de cette pathologie. Une décision difficile, mais salutaire en raison du coût prohibitif des soins hors de portée individuelle. La solidarité nationale était indispensable à défaut d’une assurance maladie pour tous. Cette mesure salvatrice a survécu au régime du Président Mathieu KEREKOU pour continuer sous le régime du Président Boni YAYI pendant ses dix (10) de pouvoir.

Les dépenses liées à la prise en charge de tous les patients dialysés sont imputées à une ligne budgétaire spéciale dédiés aux indigents. Ces fonds sont gérés comme des crédits délégués par les préfets au niveau des préfectures. Malheureusement, depuis janvier 2019, le régime du Président Patrice Talon a mis fin à la délivrance de certificat de prise en charge aux nouveaux malades souffrant d’insuffisance rénale. 

Désormais, seuls continuent de bénéficier de la gratuité des soins, les fonctionnaires et les anciens dialysés. Face au tollé et à l’indignation suscitée par cette mesure impopulaire et meurtrière, le gouvernement a décidé d’exonérer certains produits de traitement. L’impact de la mesure sur la santé et la bourse des malades est quasiment nul.

Évaluation sommaire du coût de traitement de l’insuffisance rénale chronique.

Cette évaluation est à titre indicatif puisque n’intégrant pas tous les paramètres, ni toutes les dépenses, comme les frais de transport par exemple. Ici, j’ai pris comme référence, deux (2) séances de dialyse par semaine, alors que certains en font parfois trois (3) par semaine, ce qui augmente naturellement les charges. Les rubriques prises en compte sont : Les consultations. Elles sont payantes sauf dans quelques centres publics lors des journées spéciales. Au Centre National Hospitalier et Universitaire (CNHU) HKM de Cotonou,  la consultation en néphrologie coûte 7.000 FCFA. Dans les centres privés, le prix de la consultation néphrologique varie entre 10.000 FCFA et 15.000 FCFA.

 Les séances de dialyse : La séance de dialyse coûte au moins 85.0000 Fcfa. Avec un minimum de deux (2) séances par semaine, le malade dialysé doit débourser pour les huit (8) séances du mois, la somme de 680.000 FCFA ; soit un total de 8.160.000 Fcfa par an.

Médicaments et examens : A la charge du patient, les bilans et autres médicaments coûtent environs 80.000 FCFA par mois soit un total de 960.000 FCFA par an.

Greffe rénale : Elle ne se réalise pas encore au Bénin. Elle nécessite un transfert aux frais du patient à l’étranger, souvent en France et quelquefois en Afrique du Sud.

Donc, le malade dialysé non pris en charge par l’Etat doit débourser par an pour sa survie un minimum de 9.120.000 FCFA (8.160.000 FCFA + 960.0000 FCFA). NB : Le SMIG au Bénin est actuellement à 52.500 FCFA.

C’est en raison du coût exorbitant du traitement hors de la portée d’un individu que les gouvernements antérieurs à celui de Patrice Talon évacuaient systématiquement tout béninois atteint de cette maladie au CNHU de Cotonou ou dans les centres agréés pour les soins en hémodialyse à 100% pris en charge par l’Etat.

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 Infrastructures et personnel médical.

Le Bénin compte actuellement huit (08) centres d’hémodialyse : Quatre (4) centres publics :  CNHU-HKM, CHD Borgou/Alibori, CHD Zou/Collines, CHD/Ouémé/Plateau. Quatre (4) centres privés : Unidial à Atikanmè, Les Merveilles à Aïbatin Cotonou, Longue Vie à Abomey-Calavi,  Divine Miséricorde à Abomey-Calavi.

Quant au personnel médical spécialiste, le Bénin compte actuellement dix (10) médecins néphrologues dont deux (02) néphrologues pédiatres. Malgré l’accroissement du nombre de centres de dialyse et de néphrologues, la prise en charge adéquate des malades pour les arracher à la mort précoce demeure une préoccupation majeure parce que la volonté politique fait défaut. Le nombre de décès de malades dialysés ces dernières années demeure très préoccupant. Au regard du taux de prévalence, c’est-à-dire plus de 400 patients dialysés avec une incidence de 120 patients par an, on peut estimer à 1250 le nombre de béninois décédés d’insuffisance rénale chronique de 2019 à ce jour pour défaut de prise en charge. Le Gouvernement (ministère de la Santé) ne favorise pas l’accès aux statistiques des malades dialysés décédés.

Cas de quelques pays de l’Afrique de l’Ouest

La prise en charge de l’insuffisance rénale chronique varie d’un pays à un autre suivant la priorité que les autorités nationales y attachent pour soulager la charge aux patients par une subvention conséquente.

Sénégal : Le Sénégal dispose de centres de dialyses dans les principales villes telles que Dakar, Thiès, Ziguinchor, etc. La dialyse est gratuite dans le public parce que subventionnée par l’Etat pour les Sénégalais ayant une carte d’identité nationale. Dans le privé, le coût de la séance de dialyse varie entre 60.000 FCFA et 100.000 FCFA. La greffe rénale est effectuée dans certains cas avec la coopération médicale de pays partenaires.

Côte d’Ivoire : Les centres de dialyse sont disponibles dans plusieurs CHU. Les cas sociaux sont gratuitement pris en charge. L’aide publique s’étend progressivement aux autres malades dialysés. L’assurance est mieux répandue et couvre une partie des frais de dialyse. La greffe rénale est rarement pratiquée sur place.

Burkina Faso : Les centres de dialyse sont disponibles mais juste limités à Ouagadougou et Bobo. Dans les CHU publics, les séances de dialyse sont gratuites. Avant le démarrage des séances de dialyse, le patient paie à ses frais la fistule artérioveineuse dont le coût est estimé à 300.000 FCFA. Les médicaments et bilans sont comme dans les autres pays à la charge du patient. Le nombre total de dialysés actuellement au Burkina est évalué à 400. En raison du nombre de places limitées dans les hôpitaux publics, les nouveaux patients sont inscrits sur la liste d’attente et pris en charge à tour de rôle. Dans le secteur privé, le coût de la séance de dialyse varie entre 75.000 FCFA et 80.000 FCFA. La greffe rénale n’est pas encore pratiquée sur place.

 Togo : Le pays dispose de centres publics et privés de dialyse. La dialyse partiellement subventionnée dans le public coûte 35.000 FCFA par séance pour les indigents. Il n’y a souvent pas de place dans les centres publics. Dans le privé, la séance de dialyse coûte 55.600 FCFA. La greffe rénale n’est pas encore pratiquée sur place.

 Ghana : Des centres de dialyse plus équipés existent dans le pays. La prise en charge est mieux structurée avec une couverture nationale partielle grâce à l’assurance-maladie plus répandue qui prend en charge une partie des frais de dialyse. La greffe rénale est pratiquée en collaboration avec l’Inde ou l’Afrique du Sud.

Nigéria : L’accès aux soins de dialyse varie suivant les Etats. La prise en charge est faible dans le secteur public. Le secteur privé est plus répandu à un coût moins élevé que dans certains pays de la sous-région en raison du taux d’échange entre le FCFA et la naira. La greffe rénale est pratiquée mais à un coût très élevé.

Mali : Bamako dispose de centre de dialyse. Prise en charge partiellement subventionnée mais très insuffisante. La greffe rénale n’est pas encore pratiquée sur place.

Initiatives de soutien.

Dans la plupart des pays de la sous-région, quelques ONG locales et internationales collaborent avec les associations des dialysés et les chefs de service de dialyse pour appuyer les efforts des gouvernements soit par la fourniture de matériels et/ou consommables, soit par l’organisation des voyages d’assistance médicale de spécialistes étrangers qui viennent pour faire des soins aux patients ou pour faire des formations de renforcement de capacité au personnel local.

Au Bénin par exemple, pendant que j’étais Directeur Général Adjoint du Centre National Hospitalier et Universitaire (CNHU) HKM de Cotonou, l’hôpital a assez bénéficié de l’appui de l’ONG OREDOLA BENIN E.V. du Docteur José KOUSSEMOU, un Béninois résident en Allemagne. Grâce à cette ONG, des patients dialysés ont bénéficié gratuitement de la pose de fistule par des néphrologues Allemands. Ils ont également formé quelques chirurgiens béninois. Cette collaboration a continué sous l’actuel régime. J’exprime ici toute ma gratitude au Dr José KOUSSEMOU, ses collaborateurs et partenaires.

Je salue également l’engagement des associations des dialysés et toutes autres ONG ou personnes physiques de bonne volonté qui travaillent à soulager les patients indigents et très vulnérables. Les Ministères de santé ainsi que des ONG organisent parfois des journées de dépistage gratuit. 

Problèmes communs à la sous-région et défis à surmonter

La prise en charge des patients souffrant de l’insuffisance rénale chronique se pose avec acuité dans presque tous les pays de la sous-région quel que soit l’aspect de la question. Absence de gratuité intégrale, coût élevé de la séance de dialyse même en cas de subvention (2000 FCFA à 85.000 FCFA), faible couverture géographique avec concentration des centres de dialyse dans les grandes villes, coût élevé des médicaments non couvert par la gratuité si elle existe, manque de personnel spécialisé, greffe rénale inaccessible pour la majorité des patients, absence de politique rénale claire dans la plupart des pays.

Perspectives et recommandations.

La pathologie rénale est devenue en Afrique noire et particulièrement dans la sous-région ouest-africaine une sérieuse question de santé publique, d’où l’urgence pour les gouvernants, les décideurs et les praticiens d’en faire une préoccupation majeure. Rendre obligatoire la gratuité intégrale des soins pour les insuffisants rénaux, favoriser avec des bourses d’Etat la formation de néphrologues et d’infirmiers spécialisés en soins néphrologiques, créer à l’intérieur des Centrales d’achat de médicaments essentiels et consommables médicaux, une unité spécialisée de dispensation de kits de dialyse aux hôpitaux et centres agréés, étendre les centres de dialyse à toutes les régions des pays, développer un programme régional de greffe rénale en partenariat avec des structures internationales, mettre en œuvre des politiques de prévention nationale contre les maladies rénales, renforcer les campagnes de sensibilisation et de dépistage précoce des maladies rénales, intensifier et accélérer les systèmes de couverture maladie universelle.

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Conclusion

L’insuffisance rénale en Afrique de l’Ouest est une urgence sanitaire sous-estimée. Malgré quelques efforts notables, la gratuité des soins est encore très partielle et inégalitaire selon les pays. Une approche régionale coordonnée est indispensable pour améliorer la prise en charge des malades rénaux.

Valentin Djènontin-Agossou; Conférencier politique expérimenté | Ex-Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et député à l’Assemblée Nationale du Bénin

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