Bénin – Emploi: Voici l’univers des travailleurs malheureux

Le développement d’une nation repose sur le travail individuel de chaque citoyen. Le taux de chômage au Bénin est certes considérable, mais parmi les travailleurs, certains vivent l’enfer professionnel malgré leur “rémunération”. 

L’employabilité, pour la définir, est un terme qui se réfère à la capacité d’une personne à être employée ou à trouver un emploi. Elle englobe un ensemble de compétences, de connaissances, d’expériences et de qualités personnelles qui rendent une personne apte à occuper un poste de travail ou à évoluer dans le marché de l’emploi.

L’employabilité ne se limite pas uniquement à la qualification académique, mais elle inclut également la capacité à s’adapter aux besoins changeants du marché du travail, à communiquer efficacement, à résoudre des problèmes, à travailler en équipe, à apprendre de nouvelles compétences. Et c’est justement cet aspect d’adaptation qui fait que des diplômés en science, des étudiants ayant la licence professionnelle, le master ou autre diplômés, se contentent d’un emploi qui les rend, à la limite, plus malheureux. 

Gabriel Boton, 32 ans, est en couple et est père de 2 enfants. Diplômé en science de langage et de la communication de l’Université d’Abomey-Calavi, Gabriel est aujourd’hui employé dans une cabine téléphonique à Akpakpa le Bélier, 1er arrondissement de Cotonou. Sa femme, ayant obtenu sa licence en géographie, occupe sa journée avec la vente ambulante des condiments. 

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Je réside à Sèkandji et je viens au boulot ici à le Bélier. Il me faut 300 francs chaque jour pour le transport (6 jours/7). Je dépense au moins 500 francs pour la nourriture chaque jour. A la fin du mois, mon salaire tourne autour de 27 000 francs. Je suis un travailleur miséreux. Gabriel Boton, tenancier de cabine téléphonique. 

Gabriel est en location avec sa femme et ses deux enfants. Il lui faut payer l’électricité, le loyer et assurer la cloporte sans occulter la scolarité de son enfant aîné désormais en maternelle 2. Tout calcul fait, Gabriel signale qu’il travaille à perte. 

Tout comme Gabriel, Rosmonde, mère célibataire avec 3 enfants à charge, doit travailler de 9h à 23h dans un bar restaurant pour ne gagner que 30 mille francs à la fin du mois. “depuis que j’ai commencé ici (9 mois déjà, NDLR), à part le premier mois de travail, je n’ai jamais reçu l’intégralité de mon salaire à la fin du mois. On en déduit les casses, les manques et les retards au boulot. Je peine même à survivre”, se lamente Rosmonde, 45 ans.

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Des histoires du genre, on en rencontre des milliers à travers le pays. Des employés qui certes perçoivent des salaires, mais peinent à survivre dans la société qui voit constamment le panier de la ménagère de plus en plus élevé. 

La législation, et pourtant…

Dans son document d’enquête régionale intégrée sur l’emploi et le secteur informel (ERI-ESI) Bénin 2018, l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSTAD) définit l’employé comme “toute personne en âge de travailler qui, au cours d’une semaine de référence ou des 7 derniers jours, a réalisé une activité durant au moins une heure, pour produire des biens ou fournir des services en échange d’une rémunération ou d’un profit”. En somme, Gabriel et Rosmonde, se basant sur cette définition de l’INSTAD, sont considérés comme des employés, donc des travailleurs de la République.

Leurs salaires, respectivement 27 000 francs et 30 000 francs, sont largement en deçà de ce que fixe le cadre législatif en matière de rémunération des travailleurs en République du Bénin. 

Le législateur béninois a, en adoptant la loi N°98-004 du 27 Janvier 1998 portant code du travail en République du Bénin, entend définir et créer un environnement propice pour tout citoyen qui se retrouve employé dans un secteur d’activité. Cet arsenal juridique est renforcé en 2017 avec l’adoption de la loi N°2017-05 du 29 Août 2017 fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main-d’œuvre et de la résiliation du contrat de travail en République du Bénin.  Au vu de  ces différentes lois, le Président de la République a signé le décret N°2022-692 du 7 Décembre 2022 portant relèvement du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG). L’article 1er de ce décret lit: “le salaire interprofessionnel garanti (SMIG) est relevé de quarante mille (40 000) francs CFA à cinquante deux mille (52 000) francs CFA, soit une augmentation de 30% à compter du 1er Janvier 2023”. 

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Plus loin, le décret précise en son article 2 que “toute infraction aux dispositions du présent décret expose l’employeur au paiement d’une amende conformément aux dispositions de l’article 309 de la loi N°98-004 du 27 Janvier 1998 portant code du travail en République du Bénin”. 

Tout semble être pourtant clair, mais la réalité sur le terrain est tout autre. Pour Émile Ahissou, coordinateur du Mouvement chrétien des travailleurs du Bénin (MCTB), “le combat d’une rémunération décente doit interpeller tout citoyen, peu importe sa position et son rang social”.  

Notre combat est de garantir à tous ces travailleurs au moins, un salaire décent avec une déclaration à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Ils doivent également jouir d’une assurance santé et un accompagnement permanent. Nous continuerons d’œuvrer pour non seulement le respect du SMIG, mais également d’autres avantages salariaux pour ces travailleurs. Emile Ahissou, coordonnateur du MTC Bénin.

Suivant la loi sur le code du travail en République du Bénin en son article 309, “tout employeur qui enfreint les dispositions des articles 210, 211 et 212 du présent code est puni d’une amende de 14 000 à 70 000 francs CFA appliquée autant de fois qu’il y a d’infractions constatées”. Malgré cette disposition, Robert, patron de Gabriel dit ne pas s’inquiéter. Bien que son établissement soit légalement enregistré avec l’inscription au régistre de commerce (RCCM), Robert dit ne pas être en mesure de payer minimum le SMIG à son employé et ne dispose aucunement de moyens adéquats suffisants pour l’inscrire au régistre de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). “Les commissions sur les différentes transactions ne permettent malheureusement pas de fixer un salaire décent à nos employés”, affirme Robert, entrepreneur et employeur de Gabriel.

Iris Akouesson, patronne de Rosmonde se dit aussi préoccupée, mais reste impuissante face à la situation. 

Nous avons beaucoup d’employés dans notre bar. Nous misons sur les femmes présentables afin d’attirer plus de clients. Et plus il y a de clients qui fréquentent notre bar, plus les serveuses seront bien à l’aise puisqu’elles pourront avoir plus de pourboires. Parfois, les pourboires que perçoivent nos employées dépassent doublement ce que nous leur payons à la fin du mois. Elles ne se plaignent donc pas et s’y plaisent d’ailleurs. Iris Akuesson, gestionnaire de bar à Cotonou.

D’autres employeurs pointent du doigt les nombreuses taxes et la kyrielle d’impôts à payer à l’Etat béninois. Des exigences fiscales qui ne cadrent pas avec la morosité économique dans le pays. “Il y a  trop d’impôts. Et cela nous affaiblit, nous limite et endommage nos entreprises”, nous a confié Cosme Houndjo, entrepreneur à Porto-Novo, capitale du Bénin. 

Au-delà de ces deux employés du privé, des travailleurs de l’Etat se disent aussi “employés malheureux”. “Les enseignants sont les plus malheureux dans le pays”, rétorque Fulbert, enseignant au cours primaire dans le 8e arrondissement de Cotonou. Pour lui, son revenu mensuel (moins de 80 mille francs CFA net), ne lui permet pas de mieux vivre à Cotonou. Il dit avoir du mal à fonder une famille avec un tel revenu mensuel. 

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Même témoignage chez Anatole Kokou, aspirant au métier de l’enseignement (AME), une autre catégorie d’employés de l’Etat pour compenser le gap dans l’enseignement au Bénin. Avec son diplôme de maîtrise (Bac + 4), Fulbert dit gagner moins de 130 mille francs CFA net le mois. “En enlevant les charges fixes (loyer, déplacement, charges au foyer), j’essaie juste de survivre après et je me suis retrouvé dans le piège de la dette où il me faut emprunter chaque mois avant sa fin pour son remboursement le mois qui suit. je vis mal”, se plaint Fulbert Kokou.

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