Bénin – Augmentation de salaire : Larme des salariés indécents

Le gouvernement béninois, en accord avec les partenaires sociaux et le patronat, a décidé de l’augmentation du Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) et des salaires des travailleurs béninois du secteur public. Une bonne mesure certes, mais des milliers de travailleurs béninois pourraient toujours subir ce qu’ils appellent la “honte salariale”.

A la suite des discussions avec le patronat, il a été retenu de fixer le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) à 52.000 FCFA pour compter du 1er janvier 2023 contre 40.000 FCFA actuellement, soit une hausse de 30%”. C’est l’une des mesures issues du conseil des ministres de ce mercredi 7 décembre 2022. Par cet acte, tout travailleur béninois, peu importe son domaine d’intervention et le travail qu’il effectue, ne doit plus être payé en dessous de ce montant. Le faisant, le gouvernement a pris en compte les cris de détresse des Béninois qui, au vue de la situation socio-économique liée à la cherté de la vie, avaient toujours souhaité une augmentation de leur revenu salarial. Mais même si cette mesure est bien salutaire, certaines catégories de travailleurs dans la République pourraient toujours se contenter d’un salaire indécent.

La misère d’un travailleur pourtant salarié

Agathe est serveuse dans un bar à Akpakpa, Cotonou. 6 jours sur 7, Agathe doit être présente à son service de 9h à 23h parfois même 1h du matin les week-ends. Le contrat verbal qu’elle a convenu avec son employeur est de 25 mille francs CFA par mois. Mais Agathe, depuis qu’elle a commencé, n’a jamais pris intégralement ce montant salarial. 

Le premier mois de mon arrivée ici, j’ai perçu 22 mille francs CFA. Le promoteur m’a signifié que j’étais en retard au cours du mois. Après, je ne perçois que 20 mille, 18 mille voire 14 mille francs (Octobre 2022). Les raisons souvent évoquées ont trait aux verres cassés, écarts dans le calcul financier et autres. Agathe Kouton, serveuse dans un débit de boissons à Akpakpa.

Mère célibataire (2 enfants Ndlr), elle doit survivre dans Cotonou avec les pourboires des généreux clients et ses relations personnelles, dit-elle. 

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A Porto-Novo, Daniel, 33 ans, travaille comme cuisinier dans un hôtel bien reconnu. Daniel travaille tous les jours du mercredi au lundi (mardi, jour de repos) de 9h à 22h (13h de travail ) sans pause officielle. A la fin du mois, il touche 45 mille francs CFA. Il n’a nullement pas droit au repas de l’hôtel et il doit sortir pour se nourrir. “L’adage qui stipule que qui travaille à l’hôtel vit de l’hôtel n’est du tout pas appliqué ici”, affirme Daniel qui y travaille depuis 6 mois déjà. 

Suivant les dispositions de la loi N° 98-004 du 27 janvier 1998, portant code du travail en République du Bénin, la durée légale de travail est de 8h par jour et 40h par semaine. L’article 126 de la loi ainsi citée définit les modalités liées aux heures supplémentaires exécutées de jour comme de nuit, jour ouvrable ou week-end. Mais Daniel qui travaille 13h par jour et 78 h par semaine contre 8h par jour et 40h par semaine, ne bénéficie d’aucun traitement concernant ces heures supplémentaires. Et pour le promoteur de l’hôtel, “il s’agit plutôt des heures réglementaires de la structure et on ne saurait nullement évoquer une quelconque heure supplémentaire”. Alors qu’en sa séance du 7 décembre 2022, le gouvernement a défini le SMIG à 52 mille francs CFA, le promoteur dit ne pouvoir pas être en mesure de s’aligner sur ce montant au profit de ses travailleurs.

En attendant donc de constater l’effectivité de ce refus de son employeur, Daniel ne pourra que se contenter de son salaire actuel qui est de 45 mille francs CFA sans garantie sociale puisqu’il n’est pas déclaré comme le stipule la même loi. 

Je ne suis pas le seul dans ce cas. Aucun des travailleurs intervenant à la cuisine n’est déclaré pour l’heure et notre contrat de travail peut être résilié à tout moment par le promoteur. Daniel Savi, cuisinier.

Kismath est employée domestique. En plus de s’occuper de l’entretien de la maison, elle doit faire la cuisine pour sa patronne. Elle était payée en dessous du SMIG, mais devait travailler 5 jours sur 7 à raison de 10h de travail par jour, soit 50 h de travail par semaine. 

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Albert, quant à lui, est enseignant dans une école primaire privée à Ekpè, commune de Sèmè-Podji. Son salaire est de 32 mille francs CFA par mois. Vivant avec sa femme et ses trois enfants, Albert affirme avoir une vie quotidienne très difficile et financièrement instable. “j’ai dû créer une activité de vente de crédit des téléphonies mobiles pour mieux souffler dans mon foyer”, témoigne-il.

Tout comme Agathe, Daniel, Albert et Kismath, il existe des milliers de travailleurs béninois, surtout du secteur privé, qui sont payés nettement en dessous du SMIG. Aujourd’hui avec cette augmentation de ce salaire minimum, ces travailleurs disent n’avoir aucun espoir quant à l’alignement de leurs promoteurs sur cette nouvelles mesures salariale. 

Des dénonciations et lobbying sans effets

Depuis des décennies, le Mouvement chrétien des travailleurs du Bénin (MTCB) milite pour un travail décent avec un salaire décent. Pour ce combat, le MTCB a misé sur les travailleurs domestiques et les travailleurs des bars et restaurants souvent sous-payés.

Notre combat est de garantir à tous ces travailleurs au moins, un salaire décent avec une déclaration à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Ils doivent également jouir d’une assurance santé et un accompagnement permanent. Nous continuerons d’œuvrer pour non seulement le respect du SMIG, mais également d’autres avantages salariaux pour ces travailleurs. Emile Ahissou, coordonnateur du MTC Bénin.

En adoptant une telle mesure, le Président Patrice Talon s’est montré conscient de ce que le patronat doit davantage jouer un rôle déterminant pour l’application de ce SMIG aux travailleurs du secteur privé. Face aux partenaires sociaux ce 6 décembre 2022, Patrice Talon a précisé que l’Etat vient de jouer sa partition en augmentant le SMIG, mais que les employeurs du secteur privé doivent jouer le leur en payant ce salaire minimum aux travailleurs. 

Nous avons tous des agents domestiques. Nous avons des chauffeurs. Mais sommes-nous aujourd’hui capable de leur payer ce SMIG? Le faisons-nous d’ailleurs? Aujourd’hui, nous devons savoir que cette mesure concerne chacun des Béninois afin de concrétiser cette action de mon gouvernement. Il sera difficile pour un agent payé à 100 mille francs de payer sa domestiques à 52 mille francs. C’est pour cela que nous avons pensé à tous ces travailleurs afin que les conditions de ces travailleurs privés soient améliorées. Patrice Talon avec les partenaires sociaux ce 6 décembre 2022.

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L’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et des peuples adoptée par la 18e conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Organisation de l’unité africaine le 18 juin 1981 à Nairobi, Kenya stipule: “ toute personne a le droit de travailler dans des conditions équitables et satisfaisantes et de percevoir un salaire égal pour un travail égal”. Suivant la loi N°2019-40 du 7 novembre 2019 portant révision de la loi N°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin, l’Etat a déjà rempli sa part d’obligation constitutionnelle (Article 30 de la Constitution du Bénin, Ndlr). Il revient donc à tout citoyen d’ œuvrer pour l’effectivité de cette mesure.

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