[Entretien] Josaphat Finogbé : « Nos enquêtes permettent de conscientiser les dirigeants pour plus d’actions »

Le changement climatique est un phénomène mondial lié à la pollution de l’environnement. La Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation a mis en œuvre, à cet effet, le projet « l’Afrique de l’ouest face au changement climatique » initié par le Center for investigative journalism (CIJ). Ce projet se concentre sur l’amélioration de la qualité des enquêtes environnementales. Dans cet entretien accordé à Libreinfo.net, le journaliste béninois Josaphat Finogbé Dah-Bolinon explique comment le journalisme d’investigation peut contribuer à lutter contre le changement climatique. Entretien.

Propos recueillis par Nicolas Bazié

Libreinfo.net : Qu’est-ce que le changement climatique ?

Josaphat Finogbé : Un changement que nous constatons déjà dans notre quotidien est lié à l’environnement, au climat, à travers la météo qui change, les saisons également qui changent. Au Burkina, par exemple, j’ai fait le constat, depuis mon arrivée, qu’il fait très chaud dans la journée et la nuit il fait vraiment froid. Ça, ce n’est pas encore anormal. Ce qui est anormal, c’est que ce n’est pas la saison habituelle. Ce qui veut dire qu’il y a un dérèglement quelque part que nous constatons. 

Dans le cas du Bénin, que je connais très bien, la saison pluvieuse n’est plus comme avant. Si la pluie tombait en juillet, ce n’est plus le cas ; c’est peut-être fin août ou peut-être fin octobre qu’elle se manifeste désormais.

A (re) lire : [Entretien ] : Ghislain Ahidé : « L’UP le renouveau pour réécrire l’histoire politique du Bénin »

Libreinfo.net : En quoi le changement climatique peut-il influencer négativement la vie de la population ?

Josaphat Finogbé: Ce changement climatique s’observe sur le rendement des cultures ; les gens qui produisent peut-être du riz, du sorgho et bien d’autres spéculations, ne le pourront plus ; ils devront travailler davantage, quand bien même ils parviennent à le faire, ils n’obtiendront pas forcément le rendement qu’ils espères Du moment il y a un changement au niveau de la pluviométrie, il en aura également chez le producteur de ses vivres.

Cela ralentit l’économie du pays. Et quand l’économie est ralentie, le développement aussi est ralenti. C’est tout une chaîne. Si un maillon de cette chaîne se brise, c’est tous les autres maillons qui auront des problèmes et comme ça, c’est le pays tout entier qui aura des problèmes ensuite.

Libreinfo.net : Vous avez tenu une conférence publique qui traitait de la question du journalisme d’investigation face au changement climatique ; donnez-nous quelques exemples de la contribution du travail du journaliste d’investigation dans la lutte contre le changement climatique.

Josaphat Finogbé: Concernant la conférence que nous avons tenue au Centre national de presse Norbert Zongo de Ouagadougou ce 20 janvier 2023, nous avons présenté les résultats de notre enquête réalisée sur de longs mois. C’est un travail qui concerne les changements climatiques en Afrique de l’Ouest.

Ces productions ont traité le cas des brasseries et des cimenteries installées à Cotonou et à Abidjan qui sont les grosses industries qui polluent l’environnement, qui émettent beaucoup de carbone et qui détruisent la couche d’ozone.

On a travaillé sur le fleuve Sassandra et le fleuve Niger pour faire ressortir le niveau de pollution de ces fleuves et les dangers qu’ils représentent pour l’être humain. Nous avons également travaillé sur la cartographie en matière de déforestation au Mali et en Côte d’ivoire. Notre enquête s’est également penchée sur le Burkina Faso et le Bénin où des sociétés minières se sont installées et détruisent pratiquement la nature en exploitant les richesses du sous-sol du pays.

Nous avons donc présenté ces résultats de nos enquêtes pour prouver, qu’effectivement, il y a un drame dans la société. Et tous ceux qui ont été présents à cette conférence, les journalistes, les ONG et même les représentants des directions et des ministères (les acteurs étatiques), ont reconnu qu’il y a un problème et qu’il faille agir.

Pour ce qui est des zones industrialisées à Abidjan, en Côte d’Ivoire et à Cotonou, au Bénin, sur lesquelles nous avons travaillé, comme les cimenteries, nous avons démontré qu’en utilisant les calcaires, la poussière qui se dégage, contribue à la dégradation de l’environnement et constitue un grand danger pour les espèces aquatiques.

LA société CimBénin qui est une cimenterie basée à Cotonou, au Bénin, consomme plus de 70.000 mégawatts d’électricité par an, alors que la production de la société d’État de l’énergie est pratiquement en deçà de cette quantité. Vous voyez donc, entre la production et la consommation, il y a déjà un décalage. Toute cette production et tout ce dioxyde de carbone que cette cimenterie dégage, détruit la couche d’ozone et si cette dernière se dégrade, c’est notre vie qui se dégrade aussi. Le réchauffement climatique, la nappe phréatique et les poussières issues également des calcaires qui se déversent, tout cela constitue quand même un drame quotidien qu’on vit.

A (re) lire : Changement climatique et activités minières : Sassandra et Niger, l’agonie de deux fleuves en Côte d’Ivoire et au Mali

Nous publions les résultats de nos enquêtes pour conscientiser les dirigeants et montrer qu’il y a quelque chose qui ne va pas et que les gouvernants doivent prendre des décisions nécessaires pour agir. L’action, ce n’est que ce que nous espérons après nos différentes enquêtes.

Ce n’est pas nous qui allons prendre les décisions à leur place, mais nous, en tant que journalistes, nous avons fait notre travail. Et nos enquêtes sont d’ailleurs publiées sur les sites de la CENOZO ainsi que dans les organes de presse partenaires. Nous montrons dans notre travail que dans le drame qui se vit ici et là, il y a aussi, parfois, des solutions à côté.

Il suffit donc juste pour les dirigeants d’opter pour telle solution et de prendre les mesures appropriées avec fermeté, d’agir sur les lois qui existent et qui tardent à être appliquées.

Imaginez que vous avez une forêt qui est déclarée classée et au même moment, il y a le même État qui octroie un permis d’exploitation des ressources dans cette forêt ou à côté de cette forêt… Donc, vous voyez le drame qui se crée…

Ce n’est pas parce que les dirigeants ne savent pas. Peut-être qu’ils n’avaient pas mesuré l’ampleur des dégâts environnementaux et climatiques que cette décision pourrait causer.

Libreinfo.net : quelles sont les solutions, par exemple, que les acteurs étatiques peuvent prendre pour essayer de lutter contre ce phénomène ?

Josaphat Finogbé: On peut décider de déclasser une forêt sur le plan national et la classer sur le plan communal. Là, il y a moins d’impact. C’est un peu compliqué mais on peut toutefois prendre des mesures ou à défaut ne pas octroyer des permis d’exploitation au niveau de cette forêt.

En Côte d’Ivoire, par exemple, les députés ont voté des lois pour interdire toute installation de ces types d’industries  dans les agglomérations, c’est-à-dire en plein cœur d’une ville, mais à l’arrivée, c’est un mélange et tout semble permis malgré les textes. On a malheureusement octroyé des permis d’installation à ces industries dans des agglomérations. C’est contraire d’ailleurs à la législation en vigueur dans le pays.

Au Bénin, la loi interdit aussi cela. Mais là-bas, c’est encore pire. Il y a une société de ciment, installée à Ganhi, zone commerciale en plein cœur de Cotonou. Suite à une injonction du gouvernement sur la base d’un décret datant de 2001, l’usine devait délocaliser son unité de production, mais depuis cette décision et malgré les relances et l’ultimatum du gouvernement en juillet 2021, aucune action concrète de déménagement de cette unité de production de cette zone. L’ultimatum était fixé au 31 décembre 2022. Mais à la date d’aujourd’hui (21 janvier 2023 Ndlr), rien ne présage ce départ. Donc, il y a déjà le manque de volonté des dirigeants tant au niveau du Burkina qu’au Bénin et c’est la même chose en Côte d’Ivoire.

A (re) lire : Zones urbaines industrialisées Cotonou-Abidjan : un supplice au prix du développement

Libreinfo.net : Quelles sont les techniques qu’un journaliste d’investigation peut appliquer pour mieux conduire ces enquêtes ?

Josaphat Finogbé: Mais aujourd’hui, il y a beaucoup de techniques. Il y a la technique traditionnelle qui consiste à aller sur le terrain, à vérifier vous-même, à chercher, à fouiner. Et l’utilisation des outils modernes des opens sources.

Par exemple, pour un travail sur une forêt au Burkina Faso et sur le fleuve Sassandra du Niger, on a utilisé des outils qui permettent de surveiller et de mesurer le changement climatique et la production en temps réel dans chaque ville et dans un endroit précis avec des données exactes et actualisées en temps réel.

Il y a ces outils qui existent et que le journaliste d’investigation peut utiliser. Mais cela n’empêche pas, comme c’est d’ailleurs recommandé, que le journaliste se rende sur le terrain et qu’il prenne attache avec les victimes, avec les responsables et surtout qu’il obtienne l’avis des divers responsables. Et avant d’approcher ces responsables, le journaliste doit s’assurer de disposer du maximum d’informations utiles.

Libreinfo.net : Est-ce que dans le cadre de vos enquêtes, vous rencontrez des difficultés particulières ?

Josaphat Finogbé: Il y a les difficultés que vous connaissez : c’est déjà l’accès aux sources d’information, l’absence des interviews que les gens ne veulent pas accorder et bien d’autres. Ça, ce sont des difficultés classiques.

Mais s’il y a un défi que nous devons relever et que nous avons fait, c’est celui de la collaboration entre journalistes d’investigation des quatre pays (Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Bénin). Vous savez, le travail collaboratif n’est pas facile, mais nous avons gagné ce pari. Et après cette énième réussite collaborative, je voudrais encourager les journalistes à penser des sujets transfrontaliers et à travailler en collaboration.  

Libreinfo.net : Alors quels sont les volets dans la lutte contre le changement climatique dans lesquels les médias peuvent être utiles ?

Josaphat Finogbé: Mais c’est tous les volets. Il n’y a pas de volet spécifique. Je me suis promené depuis quelques jours à Ouagadougou et je constate qu’il y a toujours des gens qui utilisent le vélo.

Si aujourd’hui vous partez dans les pays développés, ils font recours au VTT (Vélo tout terrain) pour se déplacer avec comme argument, la préservation de la nature. Ils optent également pour les trottinettes pour la même cause.

Et ici au Burkina Faso, il y a encore du vélo, et je trouve que c’est un vrai potentiel. C’est peut-être culturellement enraciné dans le quotidien du Burkinabé, mais c’est un aspect écologique. Le journaliste peut prendre cet exemple et travailler là-dessus.

A (re) lire : Environnement : Une étude de Stanford annonce des seuils de réchauffement climatique critique

Ouagadougou aujourd’hui est moins polluée qu’Abidjan, Cotonou et Dakar. Il y a des sujets qui semblent être des sujets simples, mais qui s’avèrent vraiment intéressants et qui pourraient faire basculer les décisions des dirigeants.

Imaginez un instant que vous travaillez pour ramener la mentalité du Burkinabè, à le convaincre de ce que aller à vélo participe à la préservation de la nature et que cela participe au maintien de l’ordre climatique, il va mieux s’y intéresser et dira “ok”. Si l’image que j’ai de celui qui va à vélo change positivement, et que moi-même, par exemple, j’opte pour le vélo, cela peut influencer d’autres personnes et vivra tous dans une ville moins polluée et moins encombrée avec les embouteillages à n’en point finir.

C’est donc dans tous les domaines que nous pouvons intervenir et participer au changement de comportement en vue de contribuer à une prise de conscience individuelle et collective.

Source : Libre Info

Donnez-nous votre avis

En savoir plus sur SUNVI MEDIA

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading