Bénin : La culture de canne à sucre en chute libre

Les producteurs de cannes à sucre rivalisent d’ardeur quotidiennement pour hisser le Bénin au rang des nations, grandes productrices de ce produit de rente. Mais que cela soit à Copargo, Lokossa ou à Sèmè-Podji, ces efforts des agriculteurs peinent à répondre à cette ambition sous-régionale. 

Selon une enquête menée par l’universitaire Parfait C. Alexis Ahohoundo dans le cadre de la réalisation de son mémoire de maîtrise, 79,2% des producteurs de canne à sucre tirent leurs revenus principalement de cette culture. Pour l’heure au Bénin, sa production est majoritairement destinée à l’alimentation même si certaines vertus médicinales ont été découvertes. Pour l’ensemble de la période 1985-2016 (les dernières statistiques n’étant pas encore disponibles), le Bénin a enregistré une moyenne annuelle de 37 725,87 tonnes. Le changement enregistré entre la première et la dernière année est de 114 %. C’est en 2003 que le pays a enregistré la valeur la plus élevée, soit 75 405 tonnes et c’est en 1986 qu’il (le Bénin ndlr) a enregistré sa valeur la plus basse dans la production de canne à sucre soit 8 080 tonnes. 

Sur la base des prévisions et considérant les dix dernières valeurs disponibles, on estime qu’en 2025, la valeur devrait osciller autour de -28 970,96 tonnes. Une telle prévision présente un niveau de fiabilité moyen puisque les variations des cinq dernières valeurs disponibles ont une structure plutôt linéaire, compte tenu des variations importantes (coefficient de corrélation = 0.39).

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Dans l’ensemble de la commune de Sèmè-Podji, objet de notre article, la culture de la canne est la plus pratiquée. Jadis, les champs de canne à sucre restent omniprésents dans le paysage de la commune. Sur les 3 523 ha de terre cultivée, 1 493 ha étaient consacrées à la canne, soit 42% selon le Plan de développement communal (PDC 2001). Mais cette réalité a été déjà renversée puisqu’au dernier recensement de l’Agence territoriale de développement agricole (ATDA), ancien CADER, la superficie emblavée pour la culture de canne à sucre, données de 2018, est de 215 ha. Une réduction drastique de la superficie qui s’explique par l’urbanisation de la commune qui se situe entre Cotonou (ville vitrine) et Porto-Novo (capitale du pays). 

A cause de cette forte urbanisation, la commune de Sèmè-Podi se positionne comme la cité dortoir pour les travailleurs de ces deux grandes villes. Une tendance qui a été également renversée par la production des produits maraîchers (323,386 ha) durant ces cinq dernières années. Le rendement moyen de la canne à sucre dans la commune de Sèmè-Podji en 2016 est de 38,21 T/ha. Cette culture de la canne à sucre occupe une place non négligeable (13%) dans l’économie de la commune. Selon les dernières statistiques de l’ATDA, une structure de l’Etat au niveau communal, le nombre de cultivateurs de canne à sucre dans la commune est de 317 producteurs de ce produit.

Le défi des agriculteurs

Parmi ces agriculteurs, Grégoire Gbèmènou rencontré sur l’une de ses parcelles cultivées. 

Je cultive la canne à sucre depuis 22 ans puisque je l’ai hérité de mon père qui l’a, lui aussi, hérité de son papa. Mais aujourd’hui, le rendement n’est plus ce que nous récoltons il y a même dix ans. Le changement climatique, la vente tous azimuts des espaces cultivables désormais utilisés pour habitation et le manque d’accompagnement sont des facteurs qui n’ont malheureusement pas favorisé cette culture de canne à sucre dans notre commune. Grégoire Gbèmènou, cultivateur de canne à sucre à Sèmè-Podji.

Marlène Agossou, agricultrice, a fait sienne cette affirmation de Grégoire. Elle soutient qu’il y a quelques années, elle cultivait plus de 5 hectares. Mais aujourd’hui, affirme-t-elle, elle est contrainte de ne cultiver que 1,2 hectares. 

La culture de la canne à sucre dure 1 an environ, voire deux parfois, avant une autre saison. Et pour une bonne saison, les producteurs profitent de la décrue pour entamer automatiquement les travaux. « Il est certes recommandé que la culture de canne soit faite dans des zones humides, mais quand l’humidité est trop, le rendement est d’office affecté. D’où la perte d’une bonne quantité de la productivité », a déploré Marlène Agossou faisant allusion à la grande crue de 2010 et celle de 2018. 

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Le taux de pluviométrie dans la zone étant de 1 135 mm par an, cette filière de canne à sucre dispose de cet atout naturel pour impacter positivement l’économie non seulement de la commune mais également du Bénin. Le faible rendement par hectare observé ces cinq dernières années dans la culture de canne dans la commune de Sèmè-Podji s’explique, suivant les propos de Honorat Fanou, conseiller à la diversification de l’Agence territoriale de développement agricole (ATDA), par l’utilisation abusive des engrais chimiques sur une période de longue durée.

« Quand les producteurs ont réalisé que les terres cultivables sont de plus en plus cédées aux étrangers désireux de s’installer dans la commune, ils ont fait recours à l’utilisation des engrais chimiques pour augmenter la productivité annuelle. Mais malheureusement, une telle utilisation a appauvri les sols et le rendement par hectare est désormais moins inférieur à celui d’il y a quelques années », Fanou Honorat, conseiller à l’ATDR de Sèmè-Podji.

Et pour pallier au pire les années à venir, Paul Tovènon, 1er responsable de l’ATDA de Sèmè-Podji préconise désormais l’utilisation des engrais naturels tels les composts. 

« Désormais, pour cultiver la canne à sucre sur mes installations, j’achète des fientes pour enrichir la terre. Trois mois après, je mets de l’engrais, toujours bio. Ensuite j’engage des manœuvres pour m’aider à redresser les billons afin de permettre aux tiges d’être solides. Ça ne donne pas comme avec les engrais chimiques, mais c’est bio et nous sommes moins exposés », témoigne Marlène.

Les agriculteurs face aux défis du temps

« Nous continuons d’utiliser les mêmes outils de travail d’ailleurs rudimentaires et archaïques comme aux temps de nos aïeux. Mais malheureusement, les enjeux actuels n’ont pas été ceux de cette époque », a lancé Grégoire Gbèmènou, producteur de canne à sucre dans la commune de Sèmè-Podji. La technique de production, comme l’a constaté l’équipe de reportage sur le terrain, n’a malheureusement pas changé malgré le temps. Houe, daba, mains d’œuvre humaine (ce qui se fait d’ailleurs rare depuis un temps selon les producteurs) et les mêmes formes de culture. En somme, la mécanisation de l’agriculture est loin d’être une réalité dans ce secteur et surtout dans cette commune. 

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« Nous avons un groupe de braves hommes cultivateurs qui travaillent dans les champs à tour de rôle pour chaque membre du groupe. Et en plus de cela, nous engageons des mains d’œuvres qui sont payées par jour pour le travail abattu », clarifie Marlène.

Outre ces contraintes, la production de la canne à sucre au Bénin et dans la commune de Sèmè-Podji en particulier est sujette à 10 contraintes biotiques et abiotiques. Les plus importantes sont les attaques des insectes, des rongeurs, la sensibilité aux mauvaises herbes et surtout la sécheresse. Les études actuelles, suivant les propos du laborantin Gansou, n’ont pas encore révélé des maladies contractées par les producteurs mais ces études ont tout de même signalé, après examen et analyse des talles de cannes à sucre que 61,3 % d’un échantillon de 36205 sont infestés soit par la rouille (68,7%), le charbon (16,4%), les stries chlorotiques (9,1%) et par l’échaudure des feuilles (5,8%).

Grégoire Gbèmènou, dans son champ de 2 ha en désherbage à Podji, un des arrondissements de la commune de Sèmè-Podji © Finogbé

Les changements climatiques au Bénin, tout comme dans toute l’Afrique, constituent un enjeu crucial de développement durable. Hormis donc les mêmes techniques et « l’invasion » des populations qui y ont trouvé leur cité dortoir, les aléas climatiques ne favorisent aucunement le bon rendement de la production de la canne dans la commune de Sèmè-Podji. Le Bénin n’est certes pas un des grands pollueurs de la planète, mais fait les frais de cette pollution. Et selon le point focal de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (Ccnucc), Euloge Lima, « il y a toujours de l’incertitude relative aux données utilisées pour réaliser les inventaires de gaz à effet de serre au Bénin ». Ce qui constitue des obstacles récurrents. Et pourtant, le Bénin, face aux enjeux et défis en matière de changement climatique, a ratifié la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris et devrait produire des rapports biennaux sur les enjeux climatiques dans le pays.

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« Nos différentes saisons, tant pluvieuses que sèches, ne sont plus respectées. Parfois, une forte quantité d’eau de pluie inonde nos champs de production en une très courte durée, tantôt, la sécheresse, avec un soleil plus ardent et qui dure plus longtemps que les saisons des années antérieures affectant du coup nos différentes productions de canne à sucre », se plaint, à la limite, Marlène Agossou, productrice de canne à sucre dans la commune de Sèmè-Podji. 

Se fiant donc aux dernières données statistiques sur les prévisions de la production de canne à sucre, la production pourrait davantage rabaisser les années à venir et ne pourrait donc plus permettre au Bénin d’atteindre certains  Objectifs de développement durable d’ici 2030. Les différents gouvernements du pays font certes des efforts dans ce sens, mais il urge d’intensifier les actions au risque de voir la production de la canne à sucre disparaître de la commune de Sèmè-Podji et même dans d’autres régions du pays.

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