Tribune du sachant: La HAAC, 30 ans après, que retenir?

La haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) ferme ses 30 ans de vie en juin 2024. Trente ans après, le fonctionnement de l’organe de régulation des médias fait débat. Les enjeux sont désormais de taille surtout pour la 7e mandature qui se mettra en place à l’issue de l’élection des représentants de la presse. Cette tribune retrace le parcours et les enjeux de cette HAAC.

Il était une fois, le 10 juin 1994. Une poignée de jeunes pionniers de l’organisation de la Presse privée au Bénin : Charles Attolou-Moumouni, Jérôme Badou, Emmanuel Adjovi, etc.; en compagnie de nos aînés de la presse du service public. Par un vote à main levée et sous un hangar du parking de la Direction générale de l’Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin (Ortb), nous avions procédé, dans une ambition sérieuse mais sereine, à la désignation de nos représentants pour la première mandature de la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication. Nous avions simplement choisi ceux qui étaient légitimement considérés comme les meilleurs d’entre nous : les plus légitimes par leurs parcours et leurs références professionnelles.

Jeunes journalistes réunis à l’époque au sein du creuset de l’Union des Journalistes de la Presse privée du Bénin (Ujpb) que nous avions créée, un an plus tôt, nous avions désigné de façon naturelle, pour la presse écrite, Innocent Lawson. Précédemment directeur de l’Agence Bénin Presse (Abp) ; c’était notre mentor au sein, par exemple, de la Rédaction de l’hebdomadaire, La Récade de son ami Thomas Megnassan, qui fut lui-même directeur de Daho-Express (futur Ehuzu, actuellement La Nation).

Pour la presse audiovisuelle, Sébastien Agbota, alors Directeur général adjoint de l’Ortb et président de l’Association des Journalistes du Bénin qui réunissait les professionnels du service public, avait été plébiscité. Sans coup férir.

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Désormais les temps ont changé. L’élection des professionnels, souvent entre guillemets, des médias à la Haac est devenue une bataille rangée. Une rixe sanglante qui voit des candidatures nombreuses s’afficher, sans vraie vision ni projet réel, mais juste avec la perspective pour chaque candidat, de tenter de se donner l’unique chance d’une réussite sociale et d’une reconnaissance publique à durée déterminée : cinq ans. Dans une société où la noble et belle profession de journaliste a été bafouée, décrédibilisée, descendue de son piédestal, violentée, et j’en passe.

Désormais, entrer à la Haac est devenu non pas la consécration légitime d’un parcours et la reconnaissance d’une capacité à impacter l’exercice et l’avenir de la profession pour le bien de la nation et de la corporation. Mais purement et simplement, le seul moyen de se forger un destin individuel. Il ne s’agit plus d’une démarche participative à la croissance collective d’une profession, mais d’une soif de jouissance personnelle. A présent que la perspective de renouvellement de ce bail quinquennal est désormais ouverte par la loi fondamentale, l’enjeu personnel n’en est que plus exacerbé pour les uns, élus par leurs pairs, comme pour les autres, nommés par les institutions (Assemblée nationale et Présidence de la République).

La lamentable conséquence pour la République de tout ce phénomène est que trente ans après sa première installation, notre organe de régulation des médias n’a point… bonne presse au sein de la corporation dont elle est censée à la fois surveiller le bon fonctionnement et garantir l’épanouissement.

Certes, le secteur lui-même ne bénéficie guère d’un grand prestige et d’une forte crédibilité au sein de l’opinion publique dans notre beau pays. Ceci est le solde d’un très long déficit de vision et d’actions pouvant impacter la structuration de la corporation et la création d’un environnement professionnel et économique conforme aux exigences de qualité de l’information auquel tout peuple a droit dans un contexte démocratique et dans une perspective de développement.

Dans quelques semaines aura lieu l’élection (le 09 juin 2024) par leurs pairs de trois (3) nouveaux membres de l’Institution : un représentant de la Presse écrite, un représentant de l’Audiovisuel et un représentant des Techniciens des Télécommunications.  Parallèlement à la désignation de leurs six autres collègues par le bureau de l’Assemblée nationale (un Juriste, une personnalité de la société civile et un communicateur) et le président de la République (un Juriste, une personnalité de la société civile et un communicateur). Pendant ce temps, la polémique bat son plein sur la pertinence du renouvellement, désormais possible du mandat des anciens membres de l’Institution.

Plutôt que de regarder dans le rétroviseur, nous avons préféré ici nous projeter vers l’avenir en procédant à une analyse des défis qui se présentent à l’Institution, trois décennies après sa première constitution. Il apparaît cohérent qu’à l’heure où notre pays connaît  de nombreuses et profondes réformes, le monde des médias aussi mérite une mue. Elle passe inéluctablement par un rôle efficient de la Haac qui pourra ainsi faire preuve enfin de son utilité en optimisant son intérêt politique légitime pour le pouvoir, tout en formalisant et en donnant un avenir digne de ce nom à la presse béninoise pour le bénéfice d’une information de qualité au service de la Nation.

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Pour ce faire, il importe que les prochains membres de l’Institution disposent, globalement mais aussi chacun en particulier dans son domaine, d’un profil idéal en adéquation avec les enjeux techniques et politiques de la mandature pour les prochaines années.

 Les enjeux techniques de la prochaine mandature

Le principal défi auquel devra s’attaquer le prochain Collège de conseillers réside dans la formalisation pertinente du Contenu et la mise en œuvre des réformes relatives à la modernisation de l’écosystème des médias au Bénin.  Il s’agira enfin de travailler à hisser l’environnement des médias au diapason des transformations ambitieuses que le pays connaît depuis 8 ans et qui devront se consolider et se poursuivre jusqu’en 2026 et après. 

Cet objectif doit concrètement se traduire très rapidement par l’élaboration d’un Plan ou d’une « Stratégie nationale de modernisation du secteur des médias » et donc la confection d’une nouvelle architecture juridique basée sur les réalités locales mais aussi sur des systèmes de référence. Ces nouvelles normes doivent permettre de créer un environnement médiatique qui se fonde sur trois piliers :

– l’excellence dans l’exercice de la profession ;

– la mise en place d’un modèle économique pour des entreprises de presse financièrement solides ;

– l’épanouissement socioprofessionnel des acteurs des médias (Journalistes, techniciens, personnels administratifs).

Pour réussir un tel défi, les futurs conseillers, élus comme nommés devraient idéalement correspondre à un certain profil.

Le profil idéal des prochains conseillers

  • Les conseillers élus par leurs pairs

– Il doit s’agir de professionnels aguerris, compétents et légitimes non seulement au regard de leurs parcours, mais aussi pour leurs idées et leur engagement en faveur de la modernisation et des réformes ambitieuses dans le secteur des médias.

– Dans la mesure du possible, l’élection à la Haac ne doit plus être un tremplin pour la réalisation de destins individuels souvent éphémères, mais une reconnaissance pour l’exemplarité du cheminement du candidat, ses qualités humaines et sa capacité à impacter positivement l’avenir du secteur.

  • Les Conseillers nommés par les institutions

– En dehors de la personnalité de la société civile (généralement un homme ou une femme politique) et du Juriste, la corporation serait fière de voir nommés aux deux sièges de communicateurs provenant du bureau de l’Assemblée nationale et du Président de la République, de vrais professionnels des médias, compétents et légitimes non seulement par leurs parcours, mais aussi pour leurs idées et leur engagement en faveur de la modernisation et des réformes ambitieuses, dans le secteur des médias. Il doit aussi s’agir de professionnels réputés pour leur sens de l’éthique et de l’intérêt de la corporation.

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– Globalement ici aussi, il serait important pour l’efficacité et l’utilité de l’Institution que les désignations soient faites en raison des qualités professionnelles, humaines et éthiques des personnalités ainsi que pour leur intérêt avéré par le passé pour les questions liées à la vie des médias. Ces désignations ne devraient pas être considérées systématiquement comme des sinécures ou récompenses politiques destinées à aider les uns et les autres à façonner ou à renforcer leurs destins personnels.

Si selon l’article 3 de sa Loi Organique « La Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication est une institution indépendante de tout pouvoir politique, association ou groupe de pression de quelque nature que ce soit », il n’en demeure pas moins vrai qu’il s’agit d’un énoncé de principe purement hypocrite et en porte-à-faux avec la réalité du fonctionnement et de la composition de l’institution, depuis ses débuts.

Les enjeux politiques sont légitimes dans la mise en œuvre de la mission d’une telle institution nationale. Il en est de même partout, y compris dans les modèles de référence démocratique. Mais pour que son fonctionnement soit efficient et même d’intérêt politique optimisé, le profil des membres est déterminant. Leur vision générale est capitale pour définir la ligne politique idoine. Dans l’intérêt du pouvoir mais aussi de la Nation et de la corporation.

 Les enjeux politiques de la prochaine mandature

  • La vision générale du collège

Les qualités humaines, professionnelles et éthiques des conseillers ne sauraient être incompatibles avec la loyauté politique, l’intérêt de la corporation et l’intérêt de la Nation. Tous ces éléments sont naturellement harmonisés et mis en œuvre avec force et vigueur mais aussi en toute sagesse par un collège de qualité et sous la conduite d’un Président bâtisseur, à la personnalité juste et parfaite.

  • La ligne politique

Si la compétence professionnelle et les qualités humaines doivent être les facteurs caractéristiques souhaités des prochains membres du collège des conseillers, la réforme du secteur des médias doit être leur horizon. Pour y parvenir, le collège doit s’appuyer sur une ligne politique dont les termes de référence figurent dans le projet de société 2021-2026 «Le Développement, ça Y est » du Président Patrice Talon et dont voici quelques extraits: « L’accès à l’information de qualité et la dynamisation du marché publicitaire soutiendront le développement des médias publics et privés et permettra une meilleure orientation des aides publiques ainsi que l’émergence de médias de qualité, attractifs pour les populations » Page 47 du Projet de société Talon-Talata).

Cette vision a été projetée dans le Programme d’action du gouvernement Pag 2 (2021-2026) en Objectifs stratégiques et en résultats attendus dont voici quelques extraits figurant à la page 59 :

« Action 1: Renforcer l’accès des citoyens aux médias et à l’information de qualité.

« Action 2: Accompagner la transformation du modèle économique des médias béninois en vue d’améliorer la viabilité financière des entreprises du secteur. »

« Action 3: Moderniser les médias de service public pour la conquête d’une audience plus large et plus diversifiée. »

Ceci induit une principale réforme qui figure à la Page 60 du Pag 2 en ces termes : «Principale réforme du secteur des médias : Modernisation des cadres réglementaires et institutionnels de l’audiovisuel et de la communication ».

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Bien entendu, le rôle de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication n’est pas en principe de définir, ni de mettre en œuvre la politique gouvernementale en matière de communication. Mais nous sommes un pays en chantier et où les vraies compétences ne courent pas les rues notamment, dans le domaine qui nous concerne ici. Les institutions sont encore en pleine édification. Si l’ambition de la corporation est d’avoir une prochaine mandature qui concentre des talents aux qualités humaines, éthiques et professionnelles exceptionnelles de sorte à produire enfin une réelle transformation de l’écosystème des médias, le collège sous la houlette de son président, doit forcément travailler en bonne intelligence et synergie avec les Départements ministériels en charge de la Communication, du Plan et du Développement, ainsi qu’avec les parlementaires, pour définir la nouvelle architecture juridique de cet écosystème susceptible de projeter notre pays dans un nouveau monde. Celui où le récit de notre cheminement dans l’histoire et vers le futur sera élaboré et donné à savoir de façon authentique par des professionnels dignes du nom et dans un contexte comparable aux standards internationaux.

 Conclusion

Au total, la prochaine mandature doit être composée de conseillers compétents, et habités par des enjeux techniques et politiques adéquats en vue d’accompagner la nation, le gouvernement et son chef, ainsi que la corporation vers un nouvel horizon. A la mesure et à la hauteur des ambitions que nous voulons pour notre pays demain et digne de l’héritage que le Président Patrice Talon est en train de laisser à notre pays.

Hors de cette perspective à court, moyen et long termes, la Haac demeurera, dans trente ans encore, une institution sans réel intérêt pour une corporation condamnée à demeurer informelle. Un organisme inutilement budgétivore pour les ressources de la nation. Que Dieu nous en garde.

 J’ai dit.

Par Vianney ASSANI, journaliste,

Diplômé du Centre Universitaire d’Enseignement du Journalisme de Strasbourg (CUEJ)

Président du Think Tank, I-MEDIA

(Institut pour la Modernisation de l’Ecosystème des Médias en Afrique)

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