Moqueries, rejet, préjugés… naître nain au Burkina Faso synonyme d’une enfance difficile et plus tard, d’une insertion socio-professionnelle « hypothétique ». Vite cataloguées à cause de leur taille, les personnes souffrant de nanisme restent tout de même convaincues qu’elles ont les mêmes droits que les personnes « normales ». Pas de statistiques officielles, pourtant les discriminations perdurent silencieusement et la précarité de ces personnes s’accroît. Enquête à Ouagadougou.
Augustine Compaoré, 35 ans et 1,25m, est atteinte de l’achondroplasie, la forme la plus fréquente de nanisme. La jeune femme qui vit avec son époux à Kouba, un quartier périphérique de Ouagadougou, est agent d’entretien à « l’association orthopédique et d’appareillage ». Chaque matin, dès 5h, elle parcourt environ 20 km à vélo pour regagner son lieu de travail à Kalgondé, un quartier de la capitale burkinabè. Ce trajet, elle le fait tous les jours, sauf les samedis, les dimanches et les jours fériés.
Son travail qui débute à 6h ou parfois 7h quand elle est en retard, consiste à rendre propre une villa composée d’un bureau, d’un secrétariat, de deux grandes salles de consultation et de rééducation, des 03 chambres d’hospitalisation, d’une terrasse et des sanitaires. Aussitôt arrivée, Augustine enfile ses gants et sa tenue de travail qu’elle s’est, elle-même, trouvée dans sa garde-robe. « Je n’ai pas d’uniforme de travail. J’ai juste choisi un de mes vêtements pour le faire », confie « Goutine », comme l’appellent affectueusement ses proches.
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Équipée de deux seaux, dont l’un contenant de l’eau savonneuse, balai et serpillère en main, elle se met à la tâche. Le dos courbé, elle doit d’abord balayer, ensuite passer l’eau savonneuse avec la raclette avant de terminer par le nettoyage à l’eau propre. Les conditions de travail restent souvent pénibles avec des horaires matinaux de 6h à 10h de travail par jour. Seule à curer ce grand centre, « Goutine » doit aussi dresser les lits et ranger tout le matériel de soins, au plus tard à 10h : « Le lieu est vaste pour une seule personne. Ce qui fait que je finis parfois à 11h. C’est épuisant, mais je n’ai pas d’autre choix. J’ai vraiment besoin de ce travail pour vivre ».
« Goutine » n’a pas été scolarisée en raison de son handicap. Trouver un emploi décent a toujours été un parcours du combattant pour la jeune dame atteinte de nanisme. Comme beaucoup d’autres personnes dans sa situation, elle s’est lancée en 2018, dans l’univers sans pitié des métiers précaires pour subvenir aux besoins de sa petite famille.
Si elle travaille aujourd’hui dans ce centre de rééducation, c’est grâce à sa belle-mère qui, à cause du poids de l’age, lui a cédé sa place d’agent d’entretien. Avec son époux, un mécanicien dans un garage de fortune, la vie est particulièrement dure pour le couple qui n’arrive pas à s’offrir deux repas par jour.
« Goutine » est donc obligée de travailler en moyenne 20h par semaine pour un salaire mensuel de 25.000 francs CFA, une somme nettement en dessous du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) qui est de 45 000 FCFA au Burkina Faso. Le visage abattu, elle marque un soupir et raconte : « Je ne sais ni lire, ni écrire, à plus forte raison chercher un emploi dans des entreprises. Mon père a décidé de ne pas me mettre à l’école à cause de ma taille. Aujourd’hui, mon analphabétisme est un frein à l’amélioration de mes conditions de vie. Je souffre, car l’éducation est la base de toute réussite. Ma vie est un échec ».
Le rythme de la journée est dense pour la trentenaire qui doit aussi se rendre dans un atelier d’apprentissage, au quartier Karpala, à Ouagadougou, où elle s’initie au métier de couture. Avec le travail de nettoyage qui lui prend presque la moitié de son temps de la journée, elle arrive au centre d’apprentissage chaque jour en retard.
Des moqueries dans la rue, au harcèlement, en passant par la difficulté d’accès à un emploi, Augustine compte bien les surmonter afin de réaliser son rêve, devenir propriétaire d’un atelier de styliste pour employer les personnes en situation de handicap comme elle : « Je veux connaitre les différents types de coupe. Là, je pourrai m’associer avec une personne pour ouvrir, plus tard, notre propre atelier ».
De l’école à l’emploi, le difficile parcours
Le calvaire ne s’arrête pas là pour ces « damnés ». D’un autre côté, les plus « chanceux », diplômés des universités, peinent à trouver un emploi. C’est le cas de Benjamin Zongo, 1m30, titulaire en 2018 d’une licence en Histoire à l’Université Norbert Zongo de Koudougou, située au Centre-Ouest du Burkina Faso. De 2019 à 2021, il a tenté à maintes reprises de pourvoir au poste d’enseignant d’histoire dans des dizaines de lycées et collèges publics comme privés dans cette même ville, mais ses efforts sont restés vains.
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« Je ne saurai donner le nombre exact d’établissements que j’ai parcourus. J’ai déposé mes dossiers pour faire la vacation à plusieurs (durant 03 années successives) reprises dans des lycées, sans succès. On ne m’a jamais retenu » se souvient-il. Chaque fois que le jeune homme dépose des demandes d’emploi dans les établissements secondaires, les responsables de ces écoles lui jettent au visage : « Est-ce-que les élèves ne vont pas te frapper en classe à cause de ta taille ? ».
Cette question, pour lui, sonne comme une discrimination à son égard, mais il reste convaincu de son savoir-faire. « La remarque était récurrente. Pis, certains me demandent si je peux atteindre le tableau pour écrire. Face à ces questions, je connais déjà la suite. Pourtant, j’ai les mêmes compétences que ceux qui sont retenus », assure Benjamin Zongo.
Depuis 2014, les concours directs sont ouverts aux personnes handicapées afin d’accroître le nombre des personnes vivant avec un handicap dans les administrations publiques. D’après les données de l’agence générale de recrutement de l’Etat (AGRE), en 2022, 19 concours ouverts aux personnes handicapées ont été lancés, à travers une session spéciale, pour 45 postes à pourvoir. Benjamin a réussi la même année, avec brio, un de ces concours et est aujourd’hui en formation de secrétaire administratif pour une durée de 21 mois. D’ici à fin octobre 2024, le jeune homme deviendra un agent de la fonction publique.
Malgré leur engouement à vouloir travailler, le sort ne cesse de s’acharner sur les personnes de petites tailles. Même après avoir obtenu un emploi, les discriminations ne manquent pas au sein de l’entreprise. Mariam Ouédraogo, 27 ans, 1m35 et actuelle chroniqueuse de la Télé Zénith de la radiotélévision diffusion du Burkina Faso (RTB) en a payé le prix.
C’était en 2020. Elle était stagiaire, durant un mois, à la rédaction d’une chaîne de télévision privée à Ouagadougou, dans le cadre de l’obtention de son diplôme en journalisme à l’Institut des sciences et techniques de la communication « ISTIC ». Au début, Mariam se rend compte qu’elle n’est jamais envoyée sur le terrain pour des reportages, mais reste cantonnée à la rédaction à ne rien faire.
Dans le même temps, ses collègues de « tailles normales », se voyaient confier des tâches. « J’ai fait plus de deux semaines sans aller sur le terrain. On ne me programme pas parce que le rédacteur en chef pensait qu’à cause de ma taille, je ne peux pas mener une interview. Il a fallu que j’aille me plaindre chez le responsable de la télé et aussi auprès du rédacteur en chef. Après ce malentendu, les choses sont rentrées dans l’ordre et j’ai commencé à aller sur le terrain et faire mes preuves de journaliste », raconte la journaliste rencontrée à l’Université Joseph Ki Zerbo de Ouagadougou.
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Même si au Burkina Faso, il n’existe pas encore de chiffres officiels sur les personnes de « petites tailles », elles sont cependant comptées parmi les personnes handicapées. Le dernier recensement général de la population et de l’habitation (RGPH) de 2019 révèle qu’à peine 20% des personnes handicapées, âgées de 15 à 64 ans, intègrent le marché du travail sur les 164.000 que compte le pays.
Du poids socio culturel
Depuis 2007, le gouvernement burkinabé a adopté la loi 013 qui rend obligatoire et gratuite, l’école pour les enfants de 6 à 16 ans sans exception. Mais cette mesure, arrive trop tard pour beaucoup de personnes souffrant de nanisme qui ont déjà dépassé la tranche d’âge. D’après les données du recensement général de la population et de l’habitation (RGPH) de 2019, 69,3% d’enfants n’ont jamais été scolarisés et 72,1% n’atteignent pas les études supérieures.
Raison : les croyances socio-culturelles continuent de peser sur la vie de ces personnes considérées comme des enfants « maudits » et Sanata Sawadogo, 30 ans, en est une victime. Née en Côte d’Ivoire, elle a foulé le sol burkinabé pour la première fois à l’âge de 10 ans. En 2003, son père l’abandonne chez son grand-frère à Tema-Bokin, son village natal situé à environ cinquante (50km ) kilomètres de Ouagadougou.
« Pour lui, je suis un djinn (NDLR : un génie) donc il a refusé de me mettre à l’école », se remémore Sanata, les yeux débordant de larmes. La discrimination a commencé dans sa famille. Ainée d’une fratrie de 09 enfants, ses frères et sœurs ont eu la « chance » d’aller à l’école.
« Mes parents me considèrent comme un boumbandé (NDLR : en langue mooré quelque chose de bizarre). Pour ne pas avoir d’autres enfants comme elle, mon père m’a abandonné au village », raconte-elle, la tête baissée. Du haut de ses 30 ans révolus, Sanata a toujours l’apparence d’une fillette. En 2013, elle décide de se scolariser à ses propres frais à l’école primaire publique de Tema Bokin.
L’école étant gratuite, elle ne payait que la somme de 2000 francs CFA chaque année comme sa « contribution des parents d’élèves » à leur association (APE). « Pour payer mes frais, je cultive le haricot pendant la saison des pluies que je vends après les récoltes. C’est avec cet argent que je payais mes frais APE de 2 000F CFA » confie-t-elle.
Durant sa scolarité, tout ne marchait pas comme sur des roulettes. Sanata a dû braver les moqueries, la curiosité et les brimades de plusieurs élèves à cause de sa petite taille, avant d’abandonner l’école en classe de CM1. Les difficultés se sont enchaînées pour la jeune dame dont la santé se dégradait au fil du temps et qui n’arrivait plus à exécuter les travaux champêtres pour s’acquitter des frais APE.
« Je suis malade. Mes os me font très mal à cause de mon retard de croissance, par conséquent, je n’arrivais plus à cultiver. Je voulais au moins avoir le certificat d’étude primaire (CEP) avant de lâcher prise », explique Sanata d’une voix chargée de peine. Malgré tout, elle ne baisse pas les bras.
Refusant de faire la manche à Tema-Bokin, elle trouve refuge chez sa cousine, dans le quartier Pagalayiri à Ouagadougou. Tout en l’aidant dans les tâches ménagères, Sanata apprend la couture comme son futur métier, grâce à l’association « Elan des personnes de petites tailles ». Son vœu, « exceller dans ce métier et ouvrir un grand atelier d’apprentissage ».
Les questions de genre et d’exclusion sociale sont au cœur des recherches de Dr Jocelyne Vokouma, anthropologue et Enseignante chercheur au Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST). D’après son analyse,
« Si un couple accepte l’enfant atteint de nanisme, l’anomalie se vit mieux parce qu’ils arrivent à transcender les considérations socioculturelles négatives y afférente. Naturellement, l’enfant va être inscrit à l’école. Par contre, lorsqu’on reproche à la maman d’avoir enfreint une règle divine et que la sanction est le résultat d’un enfant anormal mis au monde, dans ce cas, le père se désengage et fuit ses responsabilités. Alors, de peur que l’enfant n’en souffre à cause du regard des camarades et des parents d’élèves, ne pas le scolariser reste le moindre mal ».
Victime hier, activiste aujourd’hui
Victime elle-même de déscolarisation, Sara Maiga veut contribuer à mettre fin à cette pratique. « Après le décès de mon père en Côte d’Ivoire à l’âge de 13 ans. Je suis rentrée au pays [Burkina Faso NDLR] avec toute ma famille. Malheureusement, mon oncle n’a pas voulu me scolariser. C’est plus tard, des années après, que j’ai dû suivre des cours du soir afin d’obtenir mon Certificat d’étude primaire (CEP) », raconte-t-elle.
Depuis 2012, l’association « Elan des personnes de petites tailles », dont elle est la présidente, lutte pour les droits des personnes atteintes de nanisme. L’organisation soutient ses quelque 40 membres adhérents en vivres, formations en coupe, couture, sécurité routière, entrepreneuriat, mais aussi financièrement pour les aider à sortir de la précarité.
Pour gagner le pari, l’association travaille avec des ONG en vue d’améliorer les conditions de vie des personnes de petites tailles. A travers cette association, Sara Maiga fait entendre sa voix, pour changer les mentalités. Elle fait des sensibilisations dans les médias quand elle est invitée sur des plateaux d’émissions.
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Son ultime combat aujourd’hui, la scolarisation et l’auto-employabilité des personnes de petite taille. Car selon elle, le rejet des personnes atteintes de nanisme se fait, dans la plupart des cas, en famille et près de 90 % des parents refusent de scolariser leurs enfants parce qu’ils les considèrent comme des “ enfants maudits”, voués à l’échec. « On ne peut pas réussir comme les autres à l’école. C’est une peine perdue. Mais cette situation nous expose à la mendicité, aux enfants dans les rues. Pour éviter cela, bon nombre d’entre nous exercent dans le secteur informel (l’auto-emploi) et dans l’art du spectacle », regrette la présidente.
Tous les concours administratifs ne sont pas ouverts aux personnes handicapées
Un des plus grands défis auxquels sont confrontées les personnes de petites tailles au Burkina Faso est la prise en compte de leurs spécificités dans la politique d’inclusion sociale. Considérées comme des personnes handicapées, l’absence de données fiables sur le nombre des personnes atteintes de nanisme rend plus complexe la mise en œuvre de la loi 012, relative à la protection et promotion des droits des personnes handicapées.
L’article 30 de cette loi précise que « toute personne handicapée a droit à un emploi dans le secteur public et privé, si elle possède les compétences nécessaires pour l’exercer. Dans ce cas, le handicap ne saurait constituer un motif de discrimination et de rejet de candidature ».
D’autres dispositions nationales telles que l’article 19 de la Constitution qui rappelle que « le droit au travail est reconnu et est égal pour tous » et l’article 4 de la loi 028 du Code du travail mentionnant que « toute discrimination en matière d’emploi et de profession est interdite » peinent à s’appliquer, au regard de multiples exemples de discriminations fondés sur l’apparence physique dans le monde du travail.
Le phénomène ne touche pas seulement Ouagadougou. Dans la ville de Bittou, au Centre-Est du Burkina Faso, une étude comparative menée par l’ONG Handicap International sur les conditions d’accès à l’emploi réalisé en avril 2010 a révélé que les personnes les plus nombreuses à être sans emploi sont celles en situation de handicap, soit 5,7% contre 0,5% des enquêtés « sains ».
Pour le Secrétaire général adjoint du Mouvement Burkinabé des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP), Christophe Regawoyi Bado, l’Etat a sa part de responsabilité dans le non-respect des droits « des petites tailles ». Même si la non-scolarisation de cette frange de la population demeure une des causes de leur accès difficile à l’emploi, la discrimination dans les textes juridiques en vigueur n’en demeure pas moins.
Pour preuve, « dans la fonction publique, tous les concours ne sont pas accessibles aux personnes handicapées, en l’occurrence celui de la magistrature », explique-t-il. Et de poursuivre que le secteur privé ne vit que pour maximiser le profit, de sorte que certains employeurs sont moins regardants sur les questions de droits de l’homme, créant ainsi les conditions d’exclusion du marché de l’emploi, les personnes handicapées.
L’éducation au changement de mentalités, remède à la discrimination ?
C’est ce que pensent certains acteurs comme Idrissa Nacanabo, président de l’Union des Hommes de medias du Nord. Selon lui, il faut travailler à déconstruire les perceptions longtemps forgées sur les personnes handicapées. « Il faut leur accorder les mêmes chances d’accès à l’emploi », préconise-t-il.
Mme Brigitte Ouoba Syan, Juriste et spécialiste en Genre, pour sa part, suggère « qu’il faut élaborer un décret d’application de la loi 012 avec le maximum d’orientations accompagnées de sanctions en cas de non-respect desdites orientations ».
De son côté, Fatoumata Ouattara, responsable d’une entreprise de presse, estime qu’il faut prôner l’égalité des chances. Car « ce n’est pas la taille qui travaille, mais le cerveau ». N’est-il pas temps de parler des droits des personnes de petites tailles ?
Enquête réalisée par Fleur BIRBA avec le soutien de la CENOZO dans le cadre de la phase 2 du projet « Autonomisation des femmes journalistes du Burkina Faso ».
Encadré : Ce qu’il faut savoir
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