Tribune du sachant : Le stress de l’enseignant béninois, on peut l’éviter!

Le Bénin, en tant que nation, s’appuie fortement sur les enseignants pour aider à réaliser le potentiel des jeunes à contribuer de manière significative à leurs communautés. Mais, ce faisant, ne les soumettons-nous pas à trop de pression ?

Comme n’importe lequel d’entre eux pourrait vous le confirmer, les enseignants Béninois sont surchargés, débordés et stressés en permanence. Compte tenu des années de réformes à tout va dans l’éducation et dernièrement des impacts physiques, sociaux et émotionnels de la pandémie de COVID-19, ce stress peut même sembler inévitable. Et pire, les médias et notre propre communauté sont coupables d’une habitude qui assimile un bon enseignant à un enseignant qui a et démontre constamment l’esprit de sacrifice ; ce qui fait dire que l’enseignement est une vocation. 

Cette habitude transparaît aussi dans les travaux des spécialistes en Sciences de l’éducation : là aussi, il transparaît que les bons enseignants sont des figures maternelles toujours prêtes à sacrifier leurs propres besoins pour celui des apprenants. Ce récit de sacrifice personnel détourne l’attention des inégalités systémiques dans les conditions de travail des enseignants. 

Par exemple, dans une récente interview que l’un de nous a menée dans le cadre de la rédaction d’un article, des responsables d’établissements ont félicité leurs enseignants pour leur volonté de « renoncer » à leurs préoccupations personnelles, à leurs pauses, à leur weekend pour « être là » pour leurs apprenants. Plutôt que de reconnaître les coûts probables de tels sacrifices pour la qualité de l’enseignement (du manque de temps de planification) ou le bien-être des enseignants (du manque de pause déjeuner), ils considèrent ces sacrifices comme inhérents à leurs dispositions en tant qu’enseignants attentionnés. 

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De tels messages chargent les enseignants de responsabilités insoutenables tout en détournant l’attention du problème plus profond du sous-investissement systématique dans l’éducation des élèves marginalisés. Mais les enseignants intériorisent souvent ces messages. 

Dans nos recherches sur les émotions des enseignants, nous avons l’occasion de parler à une diversité d’enseignants des trois ordres d’enseignement des conditions de leur travail et de leurs réponses affectives à celui-ci. Nous avons souvent entendu des enseignants décrire le fait de sacrifier du temps avec leur propre famille, de dépenser leur propre argent, de ne pas dormir suffisamment ou même d’hésiter à commencer un traitement en raison de contraintes de temps, tout en se sentant toujours coupable. Lorsque les conditions de travail sont mauvaises, les besoins des enseignants (tels que le temps de préparation ou plus de ressources éducatives disponibles pour la classe) sont opposés aux besoins des élèves pour un enseignement solide, et les besoins des élèves ne peuvent être satisfaits que par le surmenage et les sacrifices des enseignants. 

De tels sacrifices sont particulièrement insoutenables pour les enseignants (dont par exemple, les Aspirants de l’enseignement secondaire et bientôt ceux du supérieur peut-être) qui peuvent avoir besoin de cumuler plusieurs emplois pour joindre les deux bouts, des besoins d’accès concurrents, de nombreuses responsabilités parentales et/ou simplement un désir raisonnable d’équilibrer leur vie professionnelle et personnelle. 

Cependant, le stress et la culpabilité des enseignants ne sont pas inévitables. Ils se produisent parce que nous utilisons le sacrifice des enseignants comme un pansement pour les inégalités systémiques, telles que la question du financement en peau de chagrin du système éducatif ou les grandes différences de conditions et de ressources disponibles dans les écoles des zones urbaines par rapport aux zones rurales. Ces inégalités se manifestent dans les conditions de travail insoutenables qui sont en plus exacerbées par les problèmes de recrutement, de reclassement et donc de rétention des enseignants. Comment le savons nous? 

Les données montrent que les enseignants qui commencent à enseigner dans les écoles les plus pauvres et/ou dans lesquelles il y a des classes à effectif pléthoriques choisissent souvent de réduire complètement et/ou de quitter carrément l’enseignement ou de se retrouver dans les cours de maison. Ce n’est pas à cause des enfants. Peu importe qui et où ils enseignent, les enseignants éprouvent le plus de joie lorsqu’ils travaillent avec leurs élèves. 

Le véritable problème se pose ici : lorsque les systèmes scolaires comme les nôtres ne fournissent pas aux enseignants les conditions de travail dont ils ont besoin pour enseigner efficacement à leurs élèves, ils partent. Sans ressources clés, telles que le matériel pédagogique, le soutien social ou les possibilités d’apprentissage professionnel continu, les enseignants ne peuvent bien faire leur travail qu’en faisant des sacrifices insoutenables de leur temps et de leur argent. Et le sous-investissement économique systématique dans les apprenants en provenance de familles économiquement démunies, les apprenants-cas sociaux, et les droits excessifs de l’apprenant qui réduisent l’autorité de l’enseignant a rendu les conditions de travail des enseignants systématiquement plus difficiles. En conséquence, les écoles connaissent souvent de plus grandes pénuries d’enseignants. 

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Pour endiguer ce cycle, nous devons rejeter le stéréotype selon lequel les « bons enseignants » doivent toujours se sacrifier. Ce stéréotype tend à perpétuer l’idée que si les enseignants font suffisamment d’efforts, sont suffisamment passionnés ou sont suffisamment généreux avec leur énergie émotionnelle, leur présence physique et leurs ressources financières, ils peuvent aider n’importe quel enfant à réaliser son potentiel. Non seulement cela normalise une culture de travail qui récompense ceux qui sont capables de «se lever et de moudre» quoi qu’il arrive, mais cela positionne également les enseignants comme des sauveurs qui donnent tout ce qu’ils ont à leurs élèves qui ont désespérément besoin de leur bonne volonté et de leur générosité. 

Chaque jour, des élèves de tous les coins de notre pays entrent dans leurs salles de classe avec beaucoup d’attente. Et, comme nous tous, ils ont également une gamme de besoins pour lesquels ils comptent sur une gamme de soutiens, y compris celles de leurs familles, écoles et communautés. Les enseignants jouent un rôle crucial au sein de ces réseaux de soutien. 

Nous devrions tous ressentir un profond sentiment de gratitude pour l’engagement des enseignants dans leur travail. Mais si nous voulons améliorer les conditions de travail des enseignants, il faut aussi commencer à parler autrement de leurs sacrifices. Nous savons déjà comment investir dans les conditions de travail des enseignants. De brillants penseurs ont proposé mille idées réalisables pendant des décennies.

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Les décideurs politiques et les chefs d’établissement, les responsables de circonscription, les inspecteurs pédagogiques, les directions départementales, les trois ministères chargés de l’éducation nationale, le Conseil National de l’Education et la cellule présidentielle de suivi du secteur de l’éducation peuvent et doivent demander l’accès à des recherches fondées sur des données probantes. Elles doivent aussi activer les différents cadres de concertation pour écouter la communauté des acteurs. L’enseignement ne doit pas continuer à être aussi stressant, et les conditions de travail des enseignants doivent être améliorées. Il devient urgent de déconstruire toutes les hypothèses selon lesquelles les enseignants doivent sacrifier leurs propres besoins afin de mieux servir leurs élèves. Et pour ce faire, nul ne sera de trop.

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